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Val ...
18 août 2007

J’irai la voir

Comme à chaque fois que nous montons là bas, j’irai la voir.

Je connais le chemin par cœur. Se garer devant, sur le parking. Entrer dans la cour, voir les jardins pelousés et arborés.. joli cadre. Ouvrir la porte du hall et croiser des gens… du personnel et des résidents. Prendre l’ascenseur, quand j’ai les enfants. Troisième étage. A gauche, puis la dernière porte à droite.

On frappe. Parfois un oui se fait entendre, et on entre. Parfois elle n’a pas entendu… et on entre !

Elle est contente de nous voir. Elle est heureuse de ME voir ! Comme a l’accoutumée, on a prévenu de notre arrivée quelques jours auparavant. Les surprises, il fut un temps ou elle les aimait. Maintenant, ça pourrait être risqué pour son cœur. Et puis, la perspective de ma venue l’occupe une bonne semaine. Comme à chaque visite, elle a dit à toit le personnel, et aux pensionnaires aussi, que sa petite fille  allait venir lui rendre visite. Sa petite fille qui vit à la mer, et qui vient toujours la voir. Sa petite fille qui a bien réussi (pour elle, une jeune fille qui a réussi, c’est une jeune fille qui a rencontré un homme bien et travailleur…alors si en plus elle a une maison et une voiture, et qu’elle vit à la mer…)

Nous nous approchons. Elle est assise dans son fauteuil. Un fauteuil qui roule ! Je l’embrasse. Elle sourit. Je force Gaby à faire un petit baiser. Il aime pas. Il refuse. Je l’ai pourtant briefé… Il est pas fou, Gabriel ! Il sait qu’elle ne l’aime pas. Elle n’aime pas mon fils. D’autres s’en offusqueraient. Moi pas. Je la connais. Elle a toujours préféré les filles. Elle a toujours dit que les petits gars étaient dur, bagarreurs, et qu’ils faisaient du soucis. Elle préfère les filles, et elle n’en a eu que quatre… pour huit garçons !

Gaby rechigne. Elle le traite de malpoli. On en restera là.

J’approche Elisa. Elle la trouve magnifique. Et belle. Et gentile. Et parfaite. Elle aime les petites filles. Elisa lui sourit. Elle l’examine. Elle trouve d’ailleurs qu’elle ressemble à l’une de ses filles…quand elle était bébé… Imaginez ! Elle a eu douze enfants. La tata en question aura bientôt soixante ans. Et elle se rappelle de son visage de nourrisson !

Manu s’approche. Elle lui dit bonjour et elle nous invite à nous asseoir.

On parle d’abord de la route. Si ça a été. Si il y avait beaucoup de voitures si on a mis plus, ou moins de temps que d’habitude. Elle dit vous mais ne regarde que moi.

Elle me parle de ses tracas. Toujours les mêmes. Ses jambes, qui la font souffrir. Ses yeux, qui ne voient plus clair. Ses pieds… auxquels on a enlevé quelques orteils.

Elle me parle de ses soucis. Elle se sent seule. Elle ne se mélange pas, elle ne joue pas aux cartes. Elle a jamais aimé ça. Elle regarde la télé, mais elle y voit rien. Elle s’ennuie. Il y a bien ici une ancienne voisine, mais la dame ne le reconnaît pas … Il y a des fous, ici… Elle est pas folle, ELLE ! Alors elle s’ennuie.

Elle me parle de ses malheurs. Elle mange pas bien ici. C’est pas très bon. Elle aime le sel, et ils salent pas les plats. Elle aime le sucre, mais ils sucrent pas les crèmes.

Elle me parle des gens qu’elle a vu dernièrement. Des oncles, tantes, cousins, cousines…Elle ne parle pas de ceux qui ne viennent pas.

Deux femmes en blouse entrent pour le goûter. Après quelques politesse, elles lui installent tout sur sa tablette. Elle me parle d’elles comme si elles étaient sorties « La petite elle est très gentille, ça va, mais par contre la grande, la, à droite, elle est pas facile !! ». Je suis gênée. Manu aussi. On a presque honte. La grande a entendu. Elle me sourit. Elle est habituée et n’est pas vexée.

Elle leur dit que je suis sa petite fille, qui vit à la mer. Elle leur présente Elisa, aussi. L’une des deux trouve Gabriel mignon. Elle répond pas ! Elle a envie de ne leur parler que de Elisa !

Gaby réclame mes genoux. Il est pas bête, mon fils. Comme à chaque fois, je me dis que la prochaine fois, il ne viendra pas…

Manu aussi se dit qu’il ne viendra pas. Elle l’ignore totalement ! Elle ne le regarde pas ! Non, elle ne le déteste pas, mais elle est rancunière. Elle veut lui faire voir, qu’elle est rancunière ! Il aurait du m’épouser avant de me faire deux enfants ! Pour sur ! Et puis, c’est de sa faute à lui si nos enfants ne sont pas baptisés ! C’est de sa faute… c’est à l’homme de prendre ce genre de décisions ! Elle est loin de la réalité… Inutile de lui dire que c’est une décision commune… nous ne restons qu’une heure ou deux, alors à quoi bon essayer de lui expliquer des choses qu’elle ne pourrait pas comprendre ? Elle prie juste pour qu’il ne leur arrive rien, sinon…

Elle est rancunière ! L’an dernier, elle a dit Bonjour Madame à l’une de ses petites filles (parce qu’elle ne vient jamais la voir) ! Elle est rancunière, mais pas folle.. et pas si aveugle !

Gabriel commence à s’impatienter. Il en a mare. Il trouve le temps long ! Il touche un peu à tout. Elle lui fait les gros yeux. Elle l’appelle le polisson. Elle le suit des yeux. Elle a peur qu’il dérègle son lit électrique. Elle a peur qu’il bouscule son fauteuil. Elle craint qu’il ne lui mette un coup dans ses jambes douloureuses.

On le réprimande gentiment, plus pour qu’elle le laisse qu’autre chose.

Il va bientôt falloir partir. Elle a entendu, mais fait semblant. Elle enchaîne sur le climat, la pluie, le vent…

Nous reparlons dix minutes… mais Elisa s’agite elle aussi. Elle trouve ça normal, qu’Elisa s’énerve, car elle a été sage depuis le début, et qu’elle est mignonne et sage.

Nous allons devoir nous en aller.

Cette fois, elle sait bien que ça ne pourra pas durer éternellement.

J’habille les enfants.

Gaby est content. Il se dirige déjà vers la sortie. Elle l’a vu faire. Elle le trouve un peu ingrat.

Elisa a retrouvé le sourire. « Elle a un beau sourire, ma petite Elisa ». Déconcertant !

Manu se contient, parce qu’il a promis…

Je l’embrasse. Elle me fait promettre de faire attention sur la route, et de l’appeler. Nous le ferons. Elle me conseille de ne rien laisser passer avec mon polisson. Je répond pas. Elle fait promettre à Elisa de ne pas grandir trop vite.

Manu se penche pour l’embrasser. Elle découvre, à ce moment précis, qu’il est présent ! Son attitude change, comme d’habitude ! Elle fait toujours ça. Une fois que je suis levée, prête à partir, et après l’avoir innocemment ignoré, elle se met a discuter avec Emmanuel.

Ça y est, elle l’aime bien, tout à coup. Elle lui parle de son travail, des enfants, de la route… Elle ne le lâche plus. Manu répond, et se sent obligé un peu de se rasseoir quelques minutes. Ils discutent, et moi j’attend plantée debout, un enfant dans chaque bras…

C’est une chipie ! C’est sa ruse pour nous garder quelques minutes de plus. On en sourit tendrement.. et une fois sortis, on culpabilise un peu…

Les enfants ont chaud. Ils chouinent. Faut vraiment partir. Jamais deux sans trois. Cette fois c’est la bonne.

Au revoir Grand-mère.

A dans trois mois…

Bientôt, quatre vingt dix printemps, qu’elle aura…

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Commentaires
F
Baucoup de justesse et de tendresse dans la description de cette vieille dame! criant de vérité!<br /> Je travaille parmi ces "personnages" et c'est comme si j'y étais!! (moi aussi, je "préfère" les filles)
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T
val, t'es chouette...
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F
ce sont la compassion et la solidarité qui sauveront le monde. Oui, je sais, dit ainsi ça peut parître prétentieux et grandiloquent, mais je le pense sincérement. Et il vaut mieux y croire car sinon qui viendra nous voir dans nos cellules isolées et barricadées d'electronique?
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V
Catherine... oui je pense que j'irai seule cette fois...ou alors avec Elisa!<br /> <br /> Papistache... non j'ai pas un coeur plus grand qu'un autre. C'est plutôt que... c'est une grande Dame! Trés forte. <br /> Mais Merci :D !<br /> <br /> Kloelle, moi j'apporterai une tartelette aux pommes :D ... et aussi un bouquet, pour colorer le lieu !
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K
Ton texte me touche particulièrement car je vais voir la mienne de grand-mère demain.<br /> Elle a presque le même âge...elle a presque les mêmes mots....les mêmes petits cabotinages.<br /> Tout comme toi je resterai lisse et souriante et puis j'apporterai un gros morceau de la charlotte au chocolat que je suis en train de préparer car c'est bien une des dernières choses qui lui fasse vraiment plaisir....
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