On ne les fêtera pas, mais….
Mon billet était écrit depuis plusieurs jours déjà, alors je le programme quand même, hein, tant pis !
On ne le fêtera pas cette année, pour la première fois.
J’ai dix neuf ans, je rentre tout juste d’Angleterre, et je viens de faire ma rentrée. Deuxième année de BTS , au Mans. Je rentre au village chaque week-end. Je ne peux m’en passer. On a tous déserté (travail ou études), alors le samedi, ça fait du bien de se retrouver.
Samedi soir. Rendez vous au bar, le patron est un amis de la famille, je le connais. Les amis sont là. Je ne me suis même pas faite belle, et je suis même pas maquillée. Ici c’est chez moi, tout le monde me connaît. On joue pas de rôle, on est tels qu’on est. Unetelle l’a fait, car ce soir elle espère voir apparaître le garçon convoité. Je lui souhaite de tout cœur. Moi je ne convoite personne. Je n’y pense pas. J’ai encore la tête de l’autre coté de la manche, et des stages futurs à organiser.
On est tous à une table, à nous raconter notre semaine. On se parle de tout et de rien comme à l’habitude. On prend des nouvelles.
Soudain il entre et se dirige vers le bar. Mince il est là. Entre gêne et euphorie, mon cœur est partagé…
Il est face à moi, et me regarde comme à chaque fois. Ça fait quelques semaine qu’il est ré-apparu. Depuis quelques semaines, déjà , il me regarde avec insistance à chaque fois.
Il reste debout au bar, il demande un café. Un café à cette heure, on a pas idée. Un café passé vingt deux heures, il n’y a que moi qui le fait ! Il parle avec le patron, et je ne peux m’empêcher de les fixer. Personne avant lui ne m’a autant impressionnée et troublée.
Le jeune patron, je le connais, je sais qu’ils sont amis. Oui, je sais qui il est, c’est ce gars que je croisais parfois il y a quelques années. Mince alors, j’avais treize ans ! Il avait déjà une voiture, une maison, une fiancée. Mince alors, je me fais des idées. Je suis qu’une gamine, faut que j’arrête de rêver.
Rêver, le mot est lâché. Si je ne pense pas à une éventuelle rencontre amoureuse, ce gars là, c’est plus fort que moi, quand je le croise, mon cœur bat. Quand il me regarde je ne sais plus ou me mettre. Quand il me sourit aussi vite je rougis. Faut arrêter de rêver, il est bien plus vieux, il est rôdé. Des filles il y en a plein, et des mieux, et des plus âgées. Faut arrêter d’y penser, les copines le pensent aussi. On ne sait pas forcément, au départ, ou on met les pieds…
Le patron m’appelle.
Je fais quoi ? J’y vais ? Le patron, il a une petite trentaine d’années. C’est un amour, sa compagne aussi. Il a souvent été là quand j’avais besoin de lui. Là il m’appelle, et je tremble comme une feuille. Aller, je me lève et j’y vais.
Rouge comme une tomate, j’arrive derrière le bar. J’ose pas lever les yeux, autrement j’éclate.
« Assied toi là, on t’offre un café. Je vais bientôt fermer, mais la soirée n’est pas terminée. Ce soir on sort, et on t’emmène, si tu en a envie ».
La raison de mes tremblements et de mon emballement me lorgne et sourit.
Etonnée de cette invitation plus qu’inattendue, j’acquiesce un petit oui que je regrette aussitôt après. Je ne sais pas ou ce oui va me mener…
Le café ferme, les copines me regardent avec envie. Sortir avec des plus vieux, ça doit être la classe, finalement…
Restent dans le bar que quelques proches des patrons. Des couples pour la plupart, qui ont tous à peu prés trente ans. Lui aussi est resté, et il n’est pas accompagné. Je me sens mal à l’aise, je ne me sens pas à ma place. J’ai l’impression qu’on observe, j’ai la sensation qu’on me dévisage. J’arrive pas à parler. J’attend juste de voir ce qu’il va se passer.
J’pourrais partir, c’est vrai. Je pourrais très bien faire marche arrière et annuler. Je pourrais très bien le faire, ils comprendraient. Je ne le fait pas, car au fond de moi, j’ai quand même envie de rester.
Il est là, à chercher mon regard. Il est là, tout prés. Il est là, et j’en suis troublée. Ma petite cervelle n’est plus qu’un tourbillon d’interrogations. Pourquoi moi ? Pourquoi je suis restée ? Pourquoi on m’a conviée ? Pourquoi on me regarde ? Ou ça va me mener ? Est ce que je ne joue pas trop avec le feu, sur ce coup là ?
Tout le monde se lève. Mince ! J’ai rien écouté. J’sais même pas ou on va, j’sais même pas ce qui va se passer. On sort sur le parking, on rempli les voitures. Je suis assise à l’arrière de l’une d’elle et lui à coté. Fait pas chaud, j’ai un frisson, je ne suis pas assez habillée. Il voit que j’ai froid, il me regarde de si prés que rien ne peut lui échapper. J’ai pas chaud, et je sens soudain une main qui me frotte le dos pour me réchauffer.
Un coup de jus. Une décharge électrique. Un mélange d’euphorie et de panique. Un bonheur autant qu’une angoisse.
J’ai peur, je ne sais pas pourquoi. J’ai peur, mais je ne voudrais surtout pas être ailleurs.
Une boite de nuit ! Je m’en doutais.
Une tablée, des bouteilles, des paquets de clopes, des rires, des paroles échangées. Moi j’observe. Je ne bois pas, et je ne trouve rien de malin à leur raconter. Faute de mieux, tant pis, je me tais. J’dois leur paraître coincée, ou tarée. J’dois lui paraître inintéressante, ou complètement inhibée…
J’aperçois des connaissances, et je m’éclipse discrètement. On discute quelques minutes. Ils s’en vont. J’hésite à retourner m’asseoir à la table. J’hésite beaucoup ! Je reste plantée là, à hésiter. Je ne trouve pas ma place parmis cette bande de copains trentenaires. J’dois pas être assez mûre, j’dois pas être assez bien, j’sais pas quoi leur dire. J’sais pas de quoi parler. Retourner m’asseoir avec eux, et les écouter parler, ou rester là bêtement… vraiment je ne sais pas quoi faire. Si il était pas là, et que j’avais une voiture, j’partirai bien.
Mais pourquoi m’ont-ils emmenée ?
Je suis debout, les yeux dans le vide, accoudée à une table haute de la boite de nuit, et je me demande ce que je fais là.
Je sens deux mains, soudain, qui se posent sur ma taille. Je le sens là tout prêt, juste derrière. Je sens son souffle, je respire son parfum, et j’entend un petit « Tu viens ? »
Déconcertée ! Inquiète ! Emue ! Apeurée !
J’hésite.
Il me prend la main, on s’assoit quelque part, au calme, tous les deux.
Toute la nuit, on a discuté !
Toute la nuit, je me suis livrée. J’ai raconté ma vie, j’sais pas ce qui m’a pris. Je me suis sentie en confiance, je lui ai raconté tout, même qu’il m’effrayait !
Il a rit.
Il s’est raconté, lui aussi.
Il aime pas les boites de nuit !
Il avait envie de me parler, ses amis n’avaient pas trouvé mieux comme idée.
Cette nuit là, chaque mot banal sorti de sa bouche m’a captivée. J’étais sous le charme, séduite au plus haut point. Fascinée de le trouver si beau et si touchant.
Chacun de ses effleurements, chacun de ses gestes tendres et mon poux s’accélérait.
Contradiction ! Ne pas encourager toutes ces cajoleries, surtout pas , mais ne pas les repousser…
J’ai pas vu la nuit passer. Il a fallu retrouver les autres et rentrer. Ils m’ont déposée chez moi.
J’ai eu du mal à m’endormir, ce soir là.
Jusqu’à l’aube je crois bien, que j’y ai repensé.
C’était il y a six ans tout rond.
Et vous savez quoi ?
Je ressent encore ces coups de jus quand ses mains sont posées sur ma taille. Du 220 volts ! Je ressent encore ces frissons quand ses bras me réchauffent. Je suis toujours émue quand il est là, devant moi. Je le trouve toujours aussi beau et charismatique qu’il y a six ans.
Paraît que ça passe, avec le temps..
Paraît que la fièvre de l’attraction des corps cesse avec les années…
Paraît que l’ensorcellement s’estompe. Non pas qu’il disparaisse, mais qu’il laisse place à une autre sorte d’attachement plus raisonnable.
Je ne me résout pas à y croire !
Ils ont tous mentis !
Les mauvaises langues disent que le mariage consume un peu cette exaltation.
Je les ignore.
J’ai l’impression qu’il ne sera que la continuité (en mieux) de cette transe impérissable.
Une anecdote pour illustrer :
Un cours de philo de terminale (le prof n’avait pas vraiment de retenue, en général, à parler de tout et de rien…je tairais son nom car il a acquis une petit notoriété, depuis…)
Une élève de ma classe (qui n’en avait pas plus que lui, de retenue).
- Monsieur, alors ? Vous êtes marié, maintenant, il paraît.
- Affirmatif ! Jeune marié heureux !
- Dites, M’sieur, ça doit être bien d’être marié… je veux dire…on est plus sauvage quoi… si vous voyez ce que je veux dire ?
Jamais eu de réponse, mais un sourire en coin et un oeil brillant qui en disaient long !