Police nationale
Neuf heures dix minutes. Je sors de l’école.
Je monte en voiture, parcourre les cent mètres qui me séparent du stop. Je dois tourner à droite, aujourd’hui. Ma maison est à gauche, mais je dois aller à la Poste.
Une voiture est devant moi. Elle s’arrête puis passe. J’avance en deuxième, à gauche c’est dégagé. Pas de voitures garées. Bonne visibilité. Pas de voiture à l’horizon. Je ne marque pas l’arrêt. Je tourne directement !
Paf ! Bien fait ! Police nationale ! Ils étaient juste à ma droite, à cinquante mètres. J’avais pas regardé vers la droite !
Bing ! Se faire arrêter pour grillage de stop devant l’école, c’est la classe !
Heureusement qu’ils étaient sympas, les policiers. C’est pas toujours le cas. Sympa, le gars, mais il fait son travail ! Ben oui ! Quatre vingt dix euros !
Pff, j’ai du aller payer au commissariat, et même que, croyant que la journée serait maudite, j’ai payé le parcmètre !
Ça m’apprendra !
A pas marquer l’arrêt au stop ?
Pas seulement !
Ça m’apprendra la vie, aussi. Je me dis que peut être le destin m’a punie. J’explique !
Ce matin, bien avant l’école, vers huit heures, Manu, qui partait travailler me dis que j’ai de la visite. A huit heures du matin ?
C’était ma petite protégée qui m’attendais devant mon portail, avec deux de ses lutins.
Je la fait entrer. Je suis surprise car elle devait prendre le bus, ce matin.
Elle ne me dis rien.
Sarah me dit qu’elle doit me dire quelque chose. J’écoute Sarah.
« Maman elle dit de te demander si tu peux nous donner des gâteaux, à mon frère et à moi ».
Je regarde la Maman.
Oui, c’est vrai !
Les sous de la caf sont toujours pas arrivés. Ils ont pas eu d’argent. Les petits ont pas pu déjeuner ce matin !
Vite, des gâteaux pour les petits.
Hier soir, il y avait déjà plus de lait. Les deux grands ont mangé des pattes sans beurre et le petit a eu un bib de blédine avec de l’eau.
Merde !
Au lever comme ça… ça en fout un coup !
Faut que je réfléchisse !
Banque alimentaire ? Secours catholique ? Non ! Son mari veut pas aller demander… il a honte, et il veut pas qu’elle y aille !
La guigne !
Il faut qu’elle aille voir si les sous sont arrivés ce matin, mais c’est pas sûr… la Poste est a quatre kilomètres. On déposera les petits à l’école et je l’emmènerai voir.
Si ils sont pas là, les sous, est ce que tu pourras me prêter vingt ou trente euros, pour aller jusqu’à demain, pour nourrir les enfants ?
Vous savez ce que j’ai répondu ?
J’ai dit non.
Ça vous étonne ? Vous êtes un peu fâchés contre moi ?
Je ne prête jamais d’argent. L’argent fausse les relations humaines, c’est un principe. Et puis, de l’argent, on en a pas … enfin, pas assez pour en donner. On donne un tiers de ce qu’on gagne pour rembourser notre lourd crédit immobilier. Les deux tiers payent les factures, la nourriture, les frais pour les enfants…
On peut pas !
J’ai dit non, mais je l’ai pas laissée comme ça.
Elle a dit à la maîtresse que les enfants restaient à la cantine à midi.
Nous sommes allées à la Poste. Les sous étaient pas là, et elle a pas droit au découvert.
On est rentrés chez moi, je lui ai fait un café, et on a fait les placards.
Du régilais en poudre (c’est mon dépannage du dimanche tout est fermé et on a plus de lait).
Un paquet de petits beurres entamé.
La moitié d’une boite de chocapics, réclamés par Gaby et jamais mangées car il voulait juste le cadeau ! GRRR !
Des barres grany achetées un jour de frénésie diététique.
Des friands du congélo.
De la confiture, un morceau de pain, quelques sucres en morceau, et un petit pot.
J’peux pas faire plus.
Chéri est mon garde fou. Pas d’argent !
Ça a toujours été très clair !
Voyez, j’suis pas bonne et douce et …hum… gentille comme mes proches aiment me le dire.
Mais je devrai, car il m’arrive des trucs quand je ne le suis pas.
Quatre vingt dix euros à l’ordre du trésor publique, pour un stop.
Manu, à l’autre bout du fil, dans la matinée, a sourit : ça t’apprendra.
Si je lui avais donné quatre vingt dix euros, à la petite maman, il aurait froncé les sourcils.
Si je lui avait donné quatre vingt dix euros (perdus pour perdus…) peut être que j’aurai pas chopé ce PV !
J’peux pas savoir…
Je suis désolée de vous embêter avec ça.
Pour la rentrée, je voulais faire du bénévolat, histoire d’aider un peu. J’avais pris contact avec une assoc. Attention, je ne suis pas mère Térésa, qui donne sans compter, qui se dévoue aux autres… je voulais juste un brin de satisfaction personnelle, me sentir utile ailleurs que dans mon foyer…
Le destin en a décidé autrement. Il m’a envoyé quelqu’un qui a besoin d’aide.
Une petite protégée.
Nous avons le même age, en réalité, mais j’ai toujours l’impression qu’elle est plus jeune que moi. J’veux pas lui dire ce qu’elle a à faire, mais parfois…
Ce matin, j’ai entendu Jason qui disait « enculés de flics ». Elle a rit.
Je lui ai dit qu’il fallait pas qu’il le dise. Elle a pas nié qu’elle lui avait appris. Elle le fera plus.
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