Perdu
On ne gagne pas à tous les coups. Moi je pensais que si. Je croyais qu’on pouvait toujours gagner. Je ne voyais pas pourquoi il pouvait en être autrement. C’est dans la tête, ça ! Si on est décidé à gagne, on gagne, un point c’est tout.
J’étais décidée à gagner. Comme d’habitude. Des parties, j’en ai gagné des dizaines, et des biens plus éprouvantes. J’ai gagné celle contre la solitude, celle contre la peine e, celle contre le deuil (les deuils !). J’ai gagné, petite, celle contre l’indifférence et la froideur. J’en ai gagné une autre, très grande, contre le coté néfaste de moi-même. Celle-là, comparée aux autres, elle était gagnée d’avance ! Sûr !
J’avais mal à la tête depuis des lustres. Un peu à cause de tout, un peu à cause de rien. Mes lunettes toujours pas réparées. La fatigue, les enfants, le stress, un peu… Je suis une grande anxieuse . Chaque matin, je remets chaque acquis en question.
J’avais juste mal à la tête depuis des siècles. Et le reste ? Comment ça va, le reste ?
Ça va très bien, Madame la marquise ! Tout va très bien, Madame la médecin…
Et à part ce qui va « très très bien au top du top trop cool que du bonheur »?
Je m’énerve facilement. Je n’ai plus de patience, même avec les enfants (surtout avec les enfants !). J’suis fatiguée. Gabriel se réveille vingt fois par nuit. Je suis épuisée, parfois. Oh, non ! Je n’ai pas sommeil ! Au contraire. J’ai du mal à dormir… mais nerveusement, je suis lasse.
A part ça, tout va très bien, Madame la médecin !
Sûr ?
En fait, non. Je m’inquiète (pour changer.. .). Je ne me réjouis plus de mon (notre) mariage. Oui, oui, c’est ça ! Je fais peur (Oh, c’est inconscient, loin de moi l’idée de lui faire de la peine !) à mon amoureux… qui se pose des questions. En temps normal, un rien m’exalte, alors… Là, non ! Le mariage, non !
J’ai plus envie, quoi… Je ne me presse pas à organiser. J’ai du retard, un peu. Je ne sais plus si j’en ai envie. Je ne sais plus rien. Je n’y pense plus jamais. En fait, je m’en fiche, en ce moment, de tout ça…
A part ça, tout va très bien, Madame la médecin !
Et ensuite ?
Je vous ai dit que j’avais très mal à la tête ?
Le soleil ne me réjouit plus. Je ne désire aucun vêtement, aucune paire de chaussure, aucun livre, aucun CD.
Je ne lis plus parce que j’ai plus envie. J’ai arrêté les ateliers d’écriture. Je n’y éprouve plus de plaisir. Je ne discute plus avec les copines comme avant.
Les cafés sont fades. Je n’ai plus le rire facile.
Je ne veux plus répondre au téléphone. J'ai pas envie d'avoir de la visite.
Je n’ai plus faim de ballades à la plage. Je ne sors plus mon chien. J’regarde aucune vitrine.
J’aime même plus les macarons, ni le thé à la menthe, ni le flan à la noix de coco.
J'm'en fiche, de la deco de la maison. Je dois repeindre la table depuis un bail. J'm'en tape, si c'est pas joli. Les couleurs, j'ai pas le coeur à les choisir.
J’veux pas aller au resto, j’veux pas de tête à tête en amoureux. J’ai même plus envie d’une nuit de noce pour de faux , en pleine semaine, juste pour faire semblant de faire un enfant…
A part ça, tout va très bien, Madame la médecin !
Que faites-vous, alors ?
Mécaniquement, je m’occupe des enfants. Une maman-robot !
Automatiquement, je joue à les distraire, et à rigoler. Une automate-maman.
Machinalement, je leur lis l’histoire du loup qui avait de grosses dents. Une machine qui lit des contes.
Instinctivement, je souris à mon amoureux tendrement, car il s’inquiète d’un rien, lui aussi…
Efficacement, j'entretiens ma maison.
Volontairement, je parle et plaisante sur commande, et paraît détendue et épanouie au possible, parce que c’est mon meilleur rôle. César de la meilleures actrice.
Tristement, je pleure et je m’en veux de ne pas être O combien ravie par tant de bonheur. Je me sens coupable de faire du soucis à mon future mari. C’est vrai, quoi. Il n’a rien fait…
Et puis c’est vrai, quoi ! Que me manque-t-il ? Non, mais vraiment ? Que me manque t’-il d’important ?
On est forcement coupable de trop s’écouter, quand on a pas de raison de ne pas se sentir bien.
On se sent coupable, et le cercle est vicieux. La culpabilité s’ajoute au reste.
Mais à part ça…
Je suis repartie comme j’étais venue. J’ai eu le traitement contre mes migraines. Un traitement de fond.
Je suis repartie avec mon ordonnance sous le bras, et une autre , et un autre rendez-vous…
Je suis rentrée à la maison avec mon amertume.
Val, là, t’as perdu !
Avec Manu on a discuté de tout ça, à tête reposée. On en parlera pas. A personne. J’ai une fierté trop mal placée.
Ça ira mieux demain…
Non, non ! Mais là, c’est vrai ! C’est pas une image. Je sais parfaitement que demain ça ira mieux… vous verrez !
On pari ?
D’ailleurs je vais aller faire un tour par chez vous, ce soir…
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