Au pays des secrets
J’étais petite et je pensais tout oser. Même pas peur, promis, juré ! J’étais toute petite et j’avais un secret. Il était là, à l’école, même pas caché. Il était juste dissimulé sous cette plaque métallisée. C’est l’entrée de la cave, disait la maitresse. Je ne la croyais pas, moi j’y voyais des promesses. On pouvait marcher dessus, et certains même sautaient. Ça faisait du bruit, et aussi ça résonnait. Fallait pas trop quand même, pour ne pas tomber. En dessous ça devait être profond, ça devait être un trou. Pis avec des araignées, et même avec des loups. Moi j’avais pas peur, et c’était mon secret. Je rêvais qu’une nuit, j’allais me réveiller. M’habiller sans bruit, quitter la maisonnée. Marcher jusqu’à l’école sans bruit, y aller seule à pieds. Ouvrir enfin la trappe et tout y trouver. Malheureusement, aucune nuit je ne me suis réveillée.
Nous étions quelques filles, et nous avions un secret. Un couloir magique, une cabane pour de vrai. Un palais pour les fées, et les sorcières, et les princesses, et les déesses. Nous étions copines, et nous aimions nous retrouver là, en plein milieu du passage secret. C’était interdit, c’était prohibé. Gare si on nous y trouvait ! Et pourtant chaque midi, après déjeuner, nous nous mettions là à l’abris, pas des punitions, mais des indiscrets, et des garçons, et des jeux de ballons, et des ennemies du camp opposé. C’était un palais derrière une haie. C’était l’endroit le moins exposé de la cour de récré.
Nous étions meilleures amies. A la mort à la vie ! Nous étions camarades, et c’était pour la vie. Presque amoureuses, presque furieuses, tellement le lien était exclusif. Nous avions un cahier pour y noter nos poésies. J’ai gardé des courriers, passionnés, un peu zélés. J’ai gardé des cadeaux, faits mains, soignés, coquets. J’ai gardé des fou rires, et des accolades aussi. Nous partagions, elle et moi, le même secret. Dans un pré, pas loin, une auto abandonnée. Une épave qui ne roulait pas, et qui était toute rouillée. Mais elle était notre billet pour le voyage au monde des secrets.
Nous avions un peu grandi, et l’auto était enlevée. Nous n’aimions plus les prés, ni les ballades, ni les fées. Nous rêvions d’amoureux, de fringues et de soirées. Nous nous essayions plutôt à l’ivresse de la liberté. Plus d’auto, plus de cahier, plus de lettres, plus de passage secret. Un téléphone, pour faire passer les pensées. Des mots chiffonnés qui passaient de main en main en classe, mais qui étaient privés. Nous avions grandi, mais pas tant que ça. Nous partagions le même lit, chaque semaine au moins une fois. Nous nous endormions sur le matin après nous être racontées tout ce que nous nous étions dit déjà mille fois, au telephonne ou par camarade interposé.
J’avais un amoureux, et je lui racontais mes secrets. Pas un faux soupirant qu’on a même pas embrassé. J’avais un vrai amoureux, qu’était même pas dans le même lycée. Je lui écrivais de longues lettres, et il me répondait. J’avais un tendre amant, doux et galant. J’avais un amoureux, et nous partagions nos secrets. Ils parlaient d’avenir, et d’éternité. Ils parlaient d’amour, et de choses censurées.
Aujourd’hui j’ai grandi , mais j’ai encore des secrets. Ou plutôt des non dits, ou plutôt des interdits. Aujourd’hui j’ai grandi, et je ne partage plus tous mes secrets. Les plus intimes, mais qui peuvent être révélés, ils sont pour mon aimé. J’en distribue aussi, déci delà, à mes amis. J’en sème de tout petits dans les rangs de mon blog. J’en cache d’énormes, ou de minuscules aussi, au sein de ma confrérie. Nous sommes que deux, dorénavant, dans la communauté des secrets.
Moi et ma conscience ! A qui vous pensiez ?
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