Parler de livres…
J’aime les livres. J’aime les livres pour les lire, bien évidement, mais aussi pour le plaisir de les toucher, et surtout pour la joie suprême de les posséder. C’est ce que je préfère, dans cet amour du livre : le posséder, comme un amant possède sa maitresse.
Bien sûr, on possède chaque livre que l’on lit, même si concrètement il ne nous appartient pas. On le possède le temps de sa lecture. Un livre qu’on dévore n’est qu’à nous. Une fois rendu à son proprietaire on l’aura tout de même possédé quand même un peu…
J’aime les livres, et j’aime qu’ils m’appartiennent. Un livre que j’ai acheté, ou que l’on m’a offert, il est mien bien avant que je ne l’ouvre. L’objet est mien. J’en dispose à ma guise. Il subira bon nombre de mauvais traitements : j’aime corner les pages de mes livres, annoter quelques pages, souligner des phrases, surligner des passages. Pire encore : j’aime laisser trainer mes livres, j’aime poser ma tasse de café sur l’un de mes livres, je les aime couchés par terre dans la voiture… Et puis, un livre qui est ma propriété, c’est bien plus commode. J’ai la permission de le perdre (pour la joie de le retrouver !). J’ai également la liberté de le relire quand ça me chante, de l’ouvrir pour y vérifier un détail ou en croquer une page. Mes propres livres me donnent tout, et subissent tous les sévices sans broncher. Je suis à la fois leur adoratrice et leur tyran. Acheter un livre, c’est comme acquérir une maison : à l’intérieur, on pourra y faire ce qu’on veut ! C’est à nous !
Les livres que j’aime le moins avoir entre mes mains sont les livres de la bibliothèque. C’est certainement pour cela que j’ai hésité des mois avant de m’y inscrire, à la bibliothèque. Evidement, c’est très pratique, d’en emprunter à la bibliothèque. L’économie n’est pas négligeable. La bibliothèque me permet de lire sans me ruiner, et d’avoir toujours au moins un ou deux livres à lire. Mais, lire un livre de bibliothèque, je trouve ça nettement mois agréable. Je les trouve froids, les livres de la bibliothèque. Froids et aseptisés. J’ai bien du mal à m’imaginer qu’ils sont passés entre toutes ces mains… ils n’en gardent, bien souvent, aucune trace. Les livres de bibliothèques restent trop neufs, même lorsqu’ils ont plusieurs années. Même en les lisant, j’ai l’impression de moins les posséder. Je n’en possède que le contenu, mais pas l’enveloppe. Les livres de bibliothèque me font penser à ces maisons meublées que l’on loue pour les vacances (c’est un peu ça !). Bien sur, on y range ses vêtements dans la commode. Evidement, ce sont nos chaussons qui nous attendent à l’entrée, mais les meubles ne sont pas nôtres. La décoration, on ne l’a pas choisie. On fait très attention à ne pas casser une assiette ou un bibelot, pour récupérer sa caution. On s’y plait bien, mais on ne se sent pas chez soi. Et pour cause : on est pas chez soi !
J’avais déjà pensé, un autre jour, à écrire un billet pour parler de mon rapport bizarre aux livres (à l’objet livre) . Je ne l’avais pas fait. Je le fait ce soir parce que cet après midi, sur le chemin du retour, une troisième catégorie de livres que je peux tenir entre mes mains a surgis. Les livres que je lis et qui ne m’appartiennent pas, et que je n’ai pas emprunté à la bibliothèque, ce sont des livres que l’on m’a prêté. Bon ! J’avoue tout ! Je n’y avais jamais pensé avant, non pas parce qu’on ne m’en a jamais prêté (enfin, ça ne m’est pas arrivé souvent, non plus…), mais parce que moi-même, je prête les miens que très difficilement. Surtout mes préférés. C’est pas de l’égoïsme… c’est pas que j’ai peur que l’on oublie de me les rendre, mais… c’est par attachement ! Oui, c’est ça ! Par attachement ! Chacun de mes livres me manque, si je le sais ailleurs que chez moi. Oh, bien sûr, j’en prête ! Si, si ! Mais c’est rare…ça me fait l’impression de prêter sa maison… Même si on la retrouve intacte au retour, elle est imprégnée de l’odeur des gens qui l’ont habitée en notre absence. Peut être même qu’ils n’ont pas rangé les bols dans les bons placards..
Contrairement à ce que vous pourriez penser, j’aime posséder (le temps de la lecture) un livre que l’on m’a prêté. Ça n’a rien à voir avec ceux de la bibliothèque. Ceux-là, le prêt, c’est leur usage premier. C’est même dans ce seul but qu’ils ont été choisis et achetés. Là, c’est différent. Le propriétaire ne se l’est pas procuré pour les autres. Ça s’est jamais vu ! Il l’a pris pour lui. Il l’a possédé. Et pas seulement le contenu ! Il l’a possédé en tant qu’objet. Il l’a peut être corné un peu. Il a écrit sur quelques pages. Il a souligné des passages. Il aura peut être même calé un meuble avec. Il l’aura perdu quelques fois (pour le plaisir de le retrouver)…
Lire un livre qu’un ami nous a prêté, c’est comme avoir les clefs de chez lui (avec la permission d’y entrer en son absence)… On entre un peu dans son intimité. Les armoires sont remplies de ses affaires. La décoration n’est pas standard comme à l’hôtel. La maison est habitée pour de vrai, à longueur d’année. Elle a une vie et une âme. Elle est imprégnée de ses propriétaires. Evidement, on fera attention à ne rien déplacer ni détériorer, mais on y circule quand même librement.
Entrer chez quelqu’un en son absence, c’est un plaisir rare et particulier. Surtout pour moi qui ne prête jamais ma maison, et que très rarement mes bouquins…