Avoir un grand fils
Avoir un grand fils, c’est vouloir faire un câlin à son enfant, et se blottir contre lui, et finalement se faire enserrer par une personne plus grande que soi.
C’est vouloir jouer à la bagarre comme quand il était petit, et ne pas gagner. Se retrouver immobilisée ou à terre. En douceur. Il ne ferait pas de mal à sa mère.
C’est parfois jouer à la bagarre et mener la partie, tout en sachant qu’il nous laisse gagner.
C’est lever la tête plutôt que de se pencher comme avant quand on veut l’embrasser. C’est lever les bras pour lui caresser le visage.
C’est ne plus avoir le droit de réclamer la liste de ses devoirs, ni de corriger ses copies et rédactions, mais être sollicitée quand même pour toute aide scolaire ou non dont il aurait besoin (mais il a de moins en moins besoin).
C’est le laisser autonome: se préparer ses repas quand il reste seule, se barrer en scooter, lui confier la maison, lui confier son frère, lui confier sa carte bancaire, et ne jamais avoir été trahie de confiance. C’est le laisser autonome, en étant priée de redevenir « Maman » si besoin: aller voir un prof, accompagner chez le médecin, le défendre à l’occasion.
C’est vouloir gueuler et entendre: « Mais pourquoi est-elle fâchée comme ça, cette petite maman? », en sentant une main nous caresser les cheveux.
C’est l’attraper par les cheveux pour le forcer quand il ne veut pas de câlin.
C’est aller s’asseoir sur son lit le soir pour l’emmerder, lui demander si on peut dormir avec lui comme lorsqu’il était petit, et entendre la réponse attendue: « euh... comment dire? La réponse commence par un « N » et se terminé également par cette lettre. »
C’est lui demander de passer l’aspirateur ou de vider le lave-vaisselle sans ne jamais essuyer le moindre refus. Obligeant grand fils!
C’est lui envoyer des chansons qu’on aime, via lien YouTube, pour qu’il comprenne qu’il doit les jouer au piano ou à la guitare pour sa mère.
C’est communiquer par sms chaque jour même s’il l’on vit ensemble. Pour le plaisir d’échanger avec lui quelques mots écrits.
C’est minauder pour qu’il apporte un café à Maman, ou un verre d’eau. Non, plutôt un verre de lait, s’il te plaît!
C’est avoir interdiction formelle de lui dicter ses choix, tout en étant invitée constamment à le conseiller.
C’est s’amuser de son manque de goût pour les conventions sociales. Et de son manque de goût tout court.
C’est l’écouter trois minutes parler de ses jeux vidéos ou de ses mangas en souriant, jusqu’à ce qu’il dise: « Ouais ok, tu t’en fous, quoi! », et ne pas démentir.
C’est être assez satisfaite qu’il soit si peu « normal », qu’il se fiche d’être aimé ou détesté, qu’il se fiche de plaire ou non, qu’il ait un jugement assez tranché sur les choses et les gens.
C’est sourire quand on me dit que mon fils est timide, parce que je sais que, simplement, « c’est pas exactement ça, mais plutôt que... parler me fait chier, voilà! ».
C’est l’avoir en « ami » sur les réseaux sociaux et le laisser lire mes inepties et mes conversations douteuses.
C’est ça, entre autres, avoir un grand fils.