Miroir, dis-moi...
Le miroir était magique. Il reflétait mon sourire à l’infini. « Miroir, qui est la plus belle personne ? ». Le miroir semblait répondre: « c’est toi! ».
Je regardais le miroir chaque jour. Il me souriait en retour. C’était probablement mon sourire, certes, qu’il me renvoyait. N’importe, le reflet était communicatif, et je souriais de plus belle. Et le miroir incarnait mon sourire et mon œil brillant.
Et puis, le miroir s’est terni. Altéré par l’usage excessif que j’en faisais. Probablement. Moi seule, par mon simple reflet, j’ai émoussé le miroir. À force d’utilisation intempestive.
Il n’a plus su me dire que j’étais la plus belle. Diminué, affaibli progressivement par mes accès de vanité, il s’est brouillé.
Eh bien, qu’importe! J’ai continué de regarder le miroir. J’ai voulu sourire encore au miroir noirci et embué.
Qu’aurais-je pu faire d’autre? Le jeter? Non. J’ai accepté tous les torts. J’ai voulu de toutes mes forces le défendre contre toute atteinte. Contre mes propres atteintes.
J’y voyais toujours une bribe de mon sourire. Plutôt, je parvenais à deviner de légers mouvements de ma bouche, à déceler difficilement l’éclat de mes dents. Je n’espérais plus être la plus belle, mais continuer de lui sourire et plisser les yeux pour entrevoir, ou m’en donner l’illusion, des fragments de joie au travers le brouillard épais, de plus en plus épais, qu’il me renvoyait.
Miroir, mon beau miroir? Suis-je encore en vie? Le chasseur a-t-il arraché mon cœur?
Le miroir me priva de réponses. Sans doute, à des questions plus stupides, il avait trop dû répondre par le passé.
Eh bien, n’importe.
Ménager, économiser le miroir. Et prendre tous les torts et toute la responsabilité encore de son opacité presque totale, à présent.
Et, un matin, le miroir s’est cristallisé soudain en mur de glace. La nuit avait dû être trop froide, je n’en sais rien. Le miroir devint mur. Gelé. Dur. Intouchable.
Il n’a plus reflété que mon visage brouillé et embué. Un moi morcelé, déstructuré, flou et glaçant. Hostile.
J’ai tenté de le réchauffer. J’ai soufflé dessus de mon haleine chaude, de toutes mes forces, jusqu’à en perdre mon souffle.
Sans succès.
Sous l’épaisse couche de glace, se trouvaient des briques. Le miroir était devenu mur infranchissable et incassable.
J’avais tous les torts, n’est-ce pas? J’aurais pu l’abattre d’un coup de masse. Mais pourquoi vouloir briser ce qui, un jour, nous a fait sourire chaque matin?
J’ai caressé le mur sans ne plus me voir dedans. Je l’ai peut-être caressé tant que j’en ai effrité quelques poussières de ciment. Guère plus. Une si insignifiante poussière que ça n’a rien ébranlé.
Mais j’avais eu tort. Et, pour cela, j’ai souhaité garder le mur solide. Qui ne reflétait plus rien.
Je me suis avancée, seule, une dernière fois, face au miroir. J’avais tous les torts.
Oh, je voulais bien être accusée de tout.
Je me suis avancée. Et le miroir de pierre devint char de Tien An Men. Une armée de chars, leurs canons me visant comme une personne à abattre.
Que pouvais-je faire?
J’étais venue sans arme, moi. Pacifiste et calme. Mais j’avais tous les torts. On n’a pas d’égards pour les coupables. On ne garde que la colère contre eux. On ne voit que le mal qu’ils ont engendré. Alors, on les lynche jusqu’à les briser, sans procès. Qu’ils plaident coupable ou non. Qu’ils se repentent importe peu.
Je ne savais pas exactement cela.
Miroir cruel qui se jouait de moi.
Et pourtant! Pourtant, je le jure, je prends tous les torts. J’accepte ma peine. J’accepte les incompréhensions. D’explications, un coupable n’a pas a en demander! Résignée et sans colère, j’accepte tous les torts. Reconnaissante pour ce qu’un jour ce miroir m’a apporté.
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