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Val ...
25 septembre 2019

Correspondance passionnée (Anais Nin/ Henry Miller)

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Je réalise en postant comme ce texte est long et me demande bien si quelque lecteur le lira jusqu’au bout mais n’importe. 

Je ne vais probablement pas être tout à fait objective. Quand on aime passionnément, on ne l’est pas toujours. Mais je vais tenter! 

J’ai mis un temps fou à terminer ce livre. Je l’ai beaucoup annoté, je suis revenue en arrière, j’ai relu. 

J’aime Anais Nin parce que je lui ressemble en un sens. Elle s’est servie de chaque élément de sa vie pour l’écrire, puisant en elle-même, en chaque circonstance de son existence, sa « matière première ». C’est peut-être son tort et sa plus grande faiblesse également : elle n’a jamais ou si peu eu recours à son imagination. 

Anaïs Nin est mon amie. Ma grande amie. Je lui ressemble assez en pensées. Elle a simplement été plus loin que moi sans doute. Ou pas. Elle a peut-être tout simplement été plus désordonnée. 

J’ai lu tous ses journaux. C’est là son œuvre principale : son journal intime, tenu avec assiduité durant des décennies. 

Non, son œuvre, c’est elle probablement. Le journal n’est qu’une preuve de ce qu’elle était. Une femme assez immorale mais subtilement. Pas une débauchée écervelée. Anaïs Nin était une femme passionnée, qui se laissait dévorer par ses passions, sans mauvaise conscience. Elle avait cet élan de vie et de vitalité qui primaient sur tout le reste. Amorale, elle vivait tous ses amours avec une grande intensité. Sincère pourtant. Apportant à chacun de ses amants ce dont elle devinait de ses besoins. Et ce qu’elle savait faire par dessus tout, c’était admirer. Sa vie était une quête d’hommes supérieurs à admirer. 

On associe toujours Henry Miller à Anais Nin. Et pour cause. 

Leur histoire d’amour clandestine dura une décennie, mais ils restèrent amis et liés jusqu’à sa mort à elle. 

La correspondance commence en 1932, année de leur rencontre, à Paris, alors qu’ils sont tous les deux anonymes. Et se termine (dans le livre, car l’éditeur a dû choisir) vingt-et-un ans plus tard aux États-Unis, alors que chacun a connu le succès et est reconnu en tant qu’écrivain. 

Anaïs Nin pense dès leur rencontre que Miller est un génie. Peu importe s’il l’est ou non: elle le pense. Le traite comme tel. Et c’est beau. Elle seule y croit. Elle contre le monde. 

Elle lui donne de l’argent. S’efface pour son art à lui. L’aide. Elle est la Femme. Sa Femme. Dans le beau sens du terme. Celle qui porte l’Homme à faire son œuvre, lui épargnant les ennuis matériels. N’importe pour elle: elle s’enivre de ses mots à lui, de son génie. Elle est son disciple, sa maîtresse, sa mère et sa servante. 

Elle supporte et tolère son grand égoïsme, ses défauts, son immaturité. Elle le sauve de toutes les situations et défend son œuvre. Elle ne compte pas tant pour lui, au début. Elle le rencontre alors qu’il est encore sous l’influence de sa seconde femme. 

Elle donne plus, bien plus, tandis qu’il donne des miettes seulement. À elle seule, elle semble bâtir et maintenir leur amour. 

Du moins dans les premières années de leur relation. 

Mais Anaïs Nin est multiple. Elle semble dans la plus grande abnégation lorsqu’elle envoie de l’argent à Miller afin qu’il se paye le plaisir d’une prostituée. Ne pas tout à fait s’y méprendre. Anais Nin a plusieurs amant -astrologues, psychanalystes, poètes, et même son géniteur-qu’elle admire tous pour des raisons différentes. En plus de son mari, qu’elle aime d’une certaine tendresse, et qui surtout la protège financièrement. 

Deux ans après leur rencontre, en 1934, elle part aux États-Unis, dans le but de « gagner de l’argent ». 

Anais Nin veut s’émanciper financièrement. De son mari, d’abord. Mais aussi « de tout homme », comme elle l’écrit. 

Elle devient assistante et maîtresse de Otto Rank, psychanalyste. 

Et, durant cette période, le ton des lettres de Miller change. Lui qui écrivait des lettres égoïstes, emplies de lui, assez négligentes parfois et même rieuses quand elle pleurait de son manque d’égards, devient doux, aimant. Affolé d’amour et de contrition. Il sent qu’elle le trompe, à présent. Et semble réaliser... qu’il la perd. Si ce n’est déjà fait. Et lire un Miller fou d’amour et de désespoir, ça en vaut la peine. Miller veut vivre avec Anais. Sincèrement. Lui demande de tout quitter pour lui. Comme un renversement de situation. Miller, l’ammoral, défenseur du « partage », devient « puritain, jaloux », selon ses mots. Et finit par embarquer pour New-York, pour la rejoindre. 

Ils revinrent ensemble en France après quelques mois, toujours amants. 

Ils quittent tous les deux Paris en 1939 pour New-York, fuyant la guerre (Anais Nin paiera le billet de bateau de Miller avec l’argent qu’elle détourne à son mari). Ils écrivent, en Amérique, en 1941, des textes érotiques (« Le monde du sexe » (Miller) , « venus erotica », « les petits oiseau », Nin) pour un collectionneur privé afin de gagner de l’argent. 

Et commencent à s’éloigner l’un de l’autre. Très progressivement. Miller est souvent en voyage, visitant les états-unis, ne supportant pas New-York. Nin ne répond pas à ses attente de vivre ensemble. Miller lui reproche le fait de rester avec son mari par besoin de protection (financière), chose qu’il ne peut pas lui apporter. Nin reproche à Miller son « irresponsabilité ». La passion se change en reproches, et puis les reproches laissent place peu à peu à une tendresse, une sorte de fraternité et de respect mutuel. 

D’ailleurs Miller se marie pour la troisième fois en 1944, fait des enfants, divorce, se remarie une quatrième fois... obtient la  reconnaissance pour son œuvre et rend à Anais ce qu’elle lui a apporté par le passé : il l’aide financièrement et lui permet de s’émanciper un peu de son mari. 

La correspondance s’arrête là, en 1953. 

(Anais Nin se remariera elle aussi, sans même prendre la peine de divorcer). 

 

Évidemment, quand on a lu Miller et Nin, on retrouve dans cette correspondance leurs caractéristiques principales : 

Anais Nin dans la passion, dans le « tout ou rien », dans l’émotivité et l’introspection. Miller dans l’art, le style, l’égocentrisme et l’immoralité. Et c’est heureux. Puisque ces lettres n’étaient pas destinées à être publiées, cela veut dire que ce qui l’a été de chacun d’eux était « véridique ». 

Je n’idéalise ni leur passion furieuse des débuts, ni leur attachement tendre, ni même leur connivence littéraire de toute un vie. Je puis même, en couplant les données du journal de Anais Nin et leur correspondance, avec le recul d’une personne extérieure, savoir où ils ont failli. Anais Nin a eu ce tort, sans doute, de demander à Miller de lui donner à hauteur de ce qu’elle lui apportait. Et, de surcroît, de se perdre dans d’autres lits par dépit. Je la croyais avant plutôt adepte du pluriamour et je réalise à présent qu’elle cherchait Miller dans tous ses amants, et qu’elle trouvait dans d’autres bras ce qu’il ne pouvait lui donner. Comme si elle ne s’estimait pas assez elle-même pour seulement aimer Henry Miller tel qu’il est, et puiser en elle les ressources nécessaires pour pallier les lacunes de leur relation. 

De même, Miller aura sans doute été un gamin capricieux, se laissant dorloter et entretenir financièrement par sa maîtresse jusqu’au succès (qui fut long a venir). Ainsi, cet homme viril vivait aux crochets d’Anais ... et surtout... de son mari! Il aura été sot, reprochant à Anais de ne pas quitter son mari par simple besoin de protection tout en étant le premier à en bénéficier. 

Pour résumer: Anais Nin aura protégé Miller avec une tendresse de mère, et lui se sera laissé dorloter comme un enfant irresponsable. 

Toutefois, je reste admirative de la longévité de leur relation. Amants, puis amis de lettres, complices en tendresse jusqu’à la mort de Anais Nin et même au delà, puisque Miller encensera son ancienne maîtresse jusqu’à sa mort à lui. Cette longévité est d’autant plus impressionnante et « belle » qu’elle n’a été obligée par aucun contrat, et n’aura été dictée que par leur envie et désir de rester proches. 

Ce qui m’a gênée de l’un et de l’autre, néanmoins : cette foutue astrologie, qui revient régulièrement ! Surtout chez Anais Nin. Miller semble plutôt... incrédule mais évitant un peu l’affrontement à ce sujet. 

 

J’ai aimé ce livre, évidemment. Qui a sans doute peu d’intérêt littéraire à proprement parler (Manque de style, sans doute, même si les lettres de Miller sont tout de même très bien écrites et bien construites). 

Seulement il m’a apporté des informations, à moi qui était avide de détails sur leur relation. De plus, il décrit en quelque sorte une époque. Il raconte aussi la naissance de deux écrivains, il présente intimement deux personnalités peu banales. Enfin et surtout, ils n’ont de cesse de parler de leurs œuvres dans leur correspondance, et ça a quelque chose de fascinant de suivre l’évolution d’un roman, de l’idée du thème à son écriture, des doutes à la satisfaction d’avoir terminé, des problèmes rencontrés pour le faire éditer, etc. 

 

Citation choisie (je vous ai volontairement épargné des passages de lettres d’amour, car les choses que deux amant s’écrivent sont assez universelles, au fond): 

 

Anais Nin à Henry Miller, 1932

« Lorsqu’on a commencé à penser sainement à propos de la morale, on a découvert qu’elle dépendait surtout des modes, et non de principes plus élevés, et lorsqu’on s’est mis à réfléchir sur des actes prétendus anormaux, on s’est aperçu qu’on ne pouvait pas les qualifier de contre-nature, parce que la nature nous donnait des millions d’exemples d’anormalités bien pires que toutes celles que nous avons pu inventer. C’est la pensée qui nous montre que les sentiments que nous éprouvons à l’égard de certains actes sont le fait d’une éducation (par exemple le puritanisme inculqué par l’ancienne génération anglo-saxonne) ». 

 

Miller à Anais Nin, 1939:

« Je veux dire qu’une grande part de mes efforts a été perdue dans un vain combat pour m’adapter au monde, l’adaptation finale se masquant dans une tentative de conquérir ou de séduire le monde par ma puissance créatrice d’écrivain. C’est à moi-même que j’aurais dû m’adapter. »

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Commentaires
H
Bravo pour vos impressions, très juste, je n'ai pas encore lu tout le Journal d'Anaïs Nin s'étendant sur toute une vie, or, j'ai lu ses Correspondances avec Henry Miller, Les Cités Intérieures, Vénus Erotica et des milliers de pages du Journal ... Et ne vous laissez pas critiquer par des personnes jugeant Anaïs Nin de névrosée voire de simple adepte d'Astrologie, elles ne connaissent ni Jung ni la vaste dimension de l'Astrologie. Je la pratique depuis 35 ans pour ma part et je peux même précisé qu'Anaïs Nin a fait quelques erreurs la concernant mais c'est touchant, plus qu'autre chose.
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V
Sans doute, il y a une infime part de ça, oui.<br /> <br /> Mais pas tant: les vie des gens ordinaires ne m’intéresse pas.
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D
En bref vous avez satisfait votre voyeurisme grâce à ce livre qui livre (sic) une intimité.
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P
Bonjour Valérie, ce qui est étonnant (un peu, mais pas tant) c'est que ce que tu as découvert d'Anaïs Nin, au fil de tes lectures, est toujours venu confirmer tes impressions premières, d'avant en avoir tant lu, tes impressions nées de te tes premières lectures, de ta première rencontre avec elle.<br /> <br /> Tu dis qu'elle est ton amie, je crois comprendre ce que tu veux dire. Est-ce que tu aurait été la sienne ? Est-ce qu'une amitié avec une autre femme aurait eu une place dans sa vie ? Toi, tu la regardes avec des yeux brillant d'admiration, tu es une lectrice passionnée et ton compte rendu de lecture montre la flamme dans tes yeux.
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A
Suis positivement impressionnée par cette critique! Elle n'incite guère à lire ces correspondances - c'est qu'il faut bien être une névrosée telle que toi pour en trouver l'intérêt ! - mais elle m'apparaît très fidèle et juste, notamment sur la question du style... et de l'astrologie !
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