Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Val ...
26 octobre 2019

Le même. Dans sa version aboutie.

Je me souviens que je le trouvais beau, mais d’une beauté très subjective, c’est à dire selon mes propres critères. Il était grand et mince. Ses traits étaient fins comme ceux d’une femmes. Ses mains étaient pourvues de doigts très fins mais très longs. Il était loin d’avoir un physique « protecteur »: pas un muscle, il ne dégageait aucune impression de force, ni de capacité de protection. Un homme frêle mais au visage intelligent. Voilà comment il était. Et il m’éblouissait de toutes ces choses imperceptibles par les autres. Il était discret, et dénué de charisme. Sans être aigüe, sa voix était loin d’être grave: elle était fragile. Précise, claire, mais délicate et faible. 

Et surtout, surtout, j’avais reconnu en lui la grande intelligence, de celles qui rayonnent et écrasent. Il était supérieur. Il m’était, de loin, supérieur. Et, plutôt que de m’anéantir d’humiliation, sa supériorité me grandissait: il m’avait choisie. Et je m'élevais à son contact, naturellement. 

Jusqu’au jour où il ne m’a plus préférée. Subitement. Il désirait mieux qu’un bonheur simple. Il voulait le grand, l’absolu, le plus haut. À mes dépens. 

Aucune femme n’est en capacité de détourner les grands esprits de leurs ambitions nobles. Je l’ignorais, à l’époque. J’ai pris cet abandon contre moi, comme un rejet de ma personne. Et j’ai pleuré. De dépit, de douleur, de souffrance, de colère. 

Épuisée de larmes et de désolations, j’ai résolu: « plus jamais! ». Les hommes brillants n’étaient pas pour moi. Ils n’étaient pour personne, d’ailleurs. Ils n’appartenaient qu’à eux-mêmes et ne vivaient que dans le but d’exceller dans leur discipline. 

J’ai choisi un homme simple. Pensant qu’il m’aimerait d’un amour bête, irréfléchi, mais sûr. Un homme ordinaire et accessible, une âme brave qui n’aspirerait qu’à la douceur d’un foyer. Et j’ai trouvé. 

Les années ont passé. J’ai pardonné. Ou plutôt, j’ai oublié et admis qu’il n’y avait rien à pardonner. Qu’est-ce que l’amour d’une femme, quand on peut s’élever si haut que l’on accède à l’accompli, à une forme d’absolu, d’esprit pur? Il n’est rien, ou pire. Il s’avère être une prison, un bâillon, un embarras. On n’a pas le temps d’aimer, quand on veut dominer le monde, ou tout comme. J’ai compris ça. 

Jamais nous n’avons cessé de communiquer. À fréquence variable. Sa capacité à renoncer à une femme amoureuse n’a jamais rien ôté à son éclat, pour moi. 

Ainsi, cette semaine encore, un de ces soirs de fatigue, qui n’incitent qu’à la paresse, je l’ai vu connecté. Alors, je lui ai écrit. Des mots anodins, du futile,  comme pour tâter le terrain, pour mesurer son envie d’entamer une conversation. Ça a pris. À plus forte raison parce qu’il était fatigué lui aussi. Il sortait de treize heures de consultations compliquées. Il n’est pas uniquement médecin, non. S’il l’était, ça aurait été si simple. Il m’explique qu’il fait, en gros, de la recherche sur les maladies neuro génétiques. Chercheur! De ce fait, il ne consulte qu’une fois par semaine. Il est également  maître de conférence et professeur d’université. J’ose lui demander des précisions sur ce qu’il fait « vraiment », en lui recommandant de vulgariser au possible. Je ne feins pas: cela m’intéresse, au fond. 

Alors, il met quelques éléments à ma portée, comme moi je pourrais le faire en m’adressant à un enfant. Je plaisante de mes insuffisances, lui demandant s’il n’est pas lassé de tous ces cons pour qui il faut simplifier. Il ne l’est pas. Il n’est pas condescendant: il m’explique qu’il fait ce qu’il aimerait que d’autres fassent pour lui en d’autres domaines où il est à peu près incompétent. 

Nous parlons ainsi de son travail un moment. Je lui demande s’il l’aime, et c’est une vraie question. Me vient en tête l’idée qu’il pourrait détester, au fond, ce pour quoi il a laissé bien plus que des plumes, et l’idée m’afflige sincèrement. Il sourit. Treize ans d’études, des sacrifices énormes, et il ne serait pas satisfait d’y être arrivé? J’objecte: les sacrifices, parfois, ne sont pas le gage du résultat. Non, ça en valait la peine, affirme-t-il. Et puis, il a construit son poste lui-même, alors évidemment qu’il l’aime! 

Nous avons fait le tour de son métier. Il me parle de moi, me parait sincèrement curieux de mon existence, et c’est agréable. 

La conversation prend fin sur ce thème récurrent qu’est l’amour. Toujours, nous nous demandons en fin de conversation si nous sommes épanouis en amour, comme un rituel d’égards mutuels. 

Nous nous saluons, et puis il m’envoie un lien d’une de ses conférences, filmée entièrement. « Assez vulgarisé pour toi, il me semble. C’était grand public ! ». 

Je fais mine de le quitter fâchée et outragée, et m’en vais visionner sa conférence. Je vous épargnerai la génomique en neurologie. 

En revanche, lui, il est toujours aussi beau. Ses traits sont toujours aussi fins. Sa voix claire, devenue un peu plus haute et grave, paraît toujours fragile. Il a pris du charisme, sans doute. 

Et sa grande intelligence n’est plus un concept que je me figure, que je suis la seule à percevoir: je suis allée voir d’autres conférences, plus compliquées. Il est écouté et respecté. Il s’adresse à des chercheurs, à des médecins. Les étudiants en thèse le sollicitent au sujet de questions scientifiquement difficiles. 

Je le regarde évoluer et parler de choses compliquées que je n’entends pas. N’importe ! J’en conclus au moins une chose: contrairement à nombre de femmes qui ont honte de leurs ex, moi, je n’ai pas à rougir de l’avoir aimé. 

Par ailleurs, la perte ne compte pour rien: il fut un temps où le génie ne voyait que moi.

Publicité
Publicité
Commentaires
B
J'ai arrêté de lire à "J'ai choisi un homme simple".<br /> <br /> Bah tu as dû avoir l'embarras du choix !
Répondre
P
Une grande paix nimbe ce texte. C'est réussi, c'est impalpable mais c'est là. Chapeau Valérie.
Répondre
Visiteurs
Depuis la création 162 002
Publicité
Publicité