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Val ...
29 novembre 2019

La bienveillance

J’étais en réunion cette semaine, entourée de mères d’élèves du collège. Et je me suis sentie bien seule à nouveau. Seule contre toutes. Seule contre la seule pensée valable et admissible. 

Une mère explique comme elle a pris la décision radicale d’inscrire son fils dans un collège privé. Et je lui demande si cela porte ses fruits, puisque le premier trimestre se termine. Sa réponse m’a fort étonnée. 

Elle me dit, très satisfaite, qu’il a toujours huit de moyenne, et que ça, ça n’a pas changé. En revanche, elle est heureuse de payer un collège privé parce que, je cite « Au moins, ils sont bienveillants! ». 

Ainsi elle paye non pas l’excellence, non pas la rigueur ni une certaine sévérité. Elle ne paye pas pour un effectif réduit dans les classes. Non! Elle paye... une bienveillance, une indulgence envers son môme. Pas comme dans le public, ajoute-t-elle. Une vraie bienveillance. Évidemment, j’ai demandé un exemple, pour comprendre ce qu’était la « vraie bienveillance ». Eh bien, la vraie bienveillance, c’est que quand un élève est en échec (ne fiche rien), alors les enseignants l’observent en récréation pour vérifier... s’il a des amis, s’il est intégré, s’il se plaît dans sa classe. 

Formidable, non? Ça donne envie! 

Et la bienveillance est également envers les parents. On comprend qu’ils n’aient pas le temps de vérifier les devoirs, on admet, d’un ton mielleux, qu’on ne peut pas « toujours le punir à la maison ». 

Voilà donc pourquoi elle paie. Pour être confortée dans ses négligences et que son fils soit aussi « compris » dans ses manquements. 

J’ai cru rêver. 

Je n’ai pas pu me taire. J’ai dit cela exactement : qu’elle payait pour que tous soient confortés dans leur paresse. Et que, pire, elle en était satisfaite. Et ce fut le drame. Une (petite) assemblée qui se révolte d’une seul voix contre mon propos. Non, je mens: tout d’abord, non. On a cru que j’avais mal dit, ou qu’on avait mal interprété. Mais j’ai répété, reformulé. Alors, on s’indigne fort contre mes mots. 

Pourquoi ? 

Parce que la bienveillance, ça ne se critique pas. Parce que c’est établi, que c’est « la clé de tout ». Parce qu’on se « doit » tous d’être « bons » , c’est à dire « aimables » et « compréhensifs » envers tout le monde. Et dans toutes les situations. 

Bienveillant envers quelqu’un qui ne fait pourtant aucun effort? 

Mais oui! Mille fois oui. S’il ne fait pas d’effort, il y a des raisons, forcément. Si quelqu’un est défaillant, il est alors victime: il va mal, il souffre, il est mal dans sa peau, il a eu une enfance difficile. On veut tout excuser et tout expliquer. Et surtout, surtout, ne pas être contredit dans ce fonctionnement « généreux ». 

Jamais on ne peut prononcer, même du bout des lèvres, que la personne est « paresseuse ». Non! Il faut une explication logique pour lui trouver (et parfois chercher loin) toutes les justifications à son défaut. Voilà ce qu’on nomme la bienveillance ! 

Et, dans mon travail, je le jure, elle fait des ravages, la bienveillance. Je l’ai vécu. Je parle d’expérience. Un adolescent est exclu du lycée une semaine pour insultes. Il est reçu par son éducatrice bienveillante. Jamais il n’est blâmé. On cherche à comprendre. Pire: on cherche à expliquer. Il est victime bien avant d’entrer dans son bureau. Elle ne sait pas encore de quoi, mais il souffre assurément. Ainsi, plutôt que de lui passer un savon (avec rappel à la loi, et sanction, et tout ce qu’un parent sensé pourrait faire), elle lui pose des questions mielleuses. « C’est ton histoire n’est-ce pas? Tu es tout à fait dépassé par tout cela, alors tu l’exprimes par la violence et c’est compréhensible. »

Voilà à quoi j’ai pu assister. 

Que s’est-il passé ensuite? En fait, l’ado voulait simplement ne plus aller en cours, et se sachant, par ce discours, plus ou moins à l’abris, la fois d’après il a été exclu définitivement. Aujourd’hui, il est majeur, sans diplôme et à la rue. Merci la bienveillance. 

Parce que, évidemment, dans la protection de l’enfance, elle s’arrête net à leur majorité, la bienveillance à leur endroit. On n’est bienveillant que dans l’exercice de ses fonctions. Il est majeur: c’est à des associations à présent de se montrer bienveillantes envers lui. On a fait « son travail » de bienveillance. Point! N’importe les conséquences. 

C’est un exemple parmi tant d’autres. Mais cette bienveillance fait aussi tenir à plusieurs cadres de la protection de l’enfance un discours que l’on peut résumer ainsi: « ces enfants souffrent tant que l’école ne doit pas être une priorité. » Entendez: par bienveillance, on les allège d’un « poids », celui de l’effort. Et, par bienveillance, on leur grille toute chance de s’élever un peu, de changer de condition par le travail et l’effort, ne serait-ce que d’une manière très terre à terre: on leur grille une chance d’accéder à un emploi décent tout simplement. Voilà où conduisent les excès de bienveillance. 

Et puis, autre chose. La bienveillance, au fond, n’est-ce pas de la condescendance ? On les estime inférieurs, puisqu’on les conforte dans le fait qu’ils ne peuvent pas faire mieux ou qu’ils ne peuvent pas faire autrement. C’est ne pas croire en eux, en leurs capacités, en leur avenir. Voilà ce qu’est la bienveillance. 

L’indulgence, c’est aussi une autorisation. C’est accorder à la personne le droit d’être toujours dans l’erreur, et de ne jamais progresser. 

Je ne dis pas qu’il faut se refuser toute empathie. Seulement, cette « bienveillance » est devenue omniprésente et employée à toutes les sauces et dans toutes les circonstances. On doit être complaisant. 

Même un enseignant : n’importe si l’élève ne progresse pas, ce n’est plus ce que les parents demandent, à ce que j’en ai compris. Ils attendent de lui une grande prévenance. Pour l’épanouissement de leur fils, pour qu’il ne se sente pas « forcé », harcelé de travail scolaire. Pour son bonheur immédiat. J’en ai la preuve. 

Pas plus tard qu’en début de semaine, un groupuscule de parents d’élèves nous (parents élus) fait parvenir une lettre, laquelle dénonce les pratiques non bienveillantes de certains professeurs. Dans les professeurs incriminés, il y en a un qui, surtout, ne fait pas grand chose. Je veux dire : les élèves ne reçoivent guère de cours. Et je m’étonne, puisqu’il est accusé d’avoir demandé à un élève s’il était bête, qu’on n’en profite pas pour dire plutôt... qu’il ne fait pas le travail pour lequel il a été recruté et pour lequel il est payé. 

Que m’ont répondu les parents ? Ils m’ont dit que ça, non. C’est, je cite « Moins grave! ». Ainsi, il est moins grave de ne pas exercer les fonctions pour lesquelles on perçoit un salaire et qui figurent dans notre contrat de travail que de... manquer de bienveillance ! 

Consternant. 

Et tout va bien, dans le meilleur des mondes. Qu’on se prenne tous la main et qu’on fasse une immense ronde tout autour de la Terre, entre amis bienveillants. Pardonnons-nous mutuellement. Toujours. N’importe si nous devenons tous insuffisants: nous serons bienveillants les uns envers les autres! Et c’est tout ce qui compte. La valeur absolue !

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Commentaires
M
Je trouve votre billet très bien écrit et très bien argumenté. Même si je commente rarement, c'est avec plaisir que je passe vous lire. Vos propos souvent m'enrichissent. Merci à vous.
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C
Dans mon métier, j'ai eu sans arrêt à faire face à ce dilemme : être bienveillant, mais être exigeant aussi. Tu résumes tout bien par ce mot : équilibre.Ni trop ni trop peu dans chaque sens.<br /> <br /> Sinon, on fait de la condescendance molle, et les mômes ne progressent pas.<br /> <br /> Personne n'a jamais dit que travailler et apprendre était facile...Mais de nos jours, les pauvres chouchoux n'ont pas envie de faire d'efforts...et il faut que tout soit ludique. Et un jour, tu as raison, quand ils sont majeurs, on leur dit subitement que la vie n'est pas un jeu et qu'ils doivent en baver...<br /> <br /> •.¸¸.•*`*•.¸¸☆
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B
J'aime l'idée d'aller à contre-courant d'une assemblée et de l'assumer.<br /> <br /> <br /> <br /> Bleck
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C
Tu as raison, dans "bien veiller", trop de personnes entendent ce qui leur permet de se sentir victimes et leur ôter toute responsabilité, ou pour les "éducateurs" dont tu parles de la con-plaisance qui ressemble plus à de la pitié qui les place au-dessus, de la charité pour le plus faible qui "oh la la n'a tellement pas de chance, le pauvre". Mais "bien veiller", ça peut s'entendre comme "donner une chance à l'autre de grandir, de se faire une vie avec les blessures et les fragilités... donc mettre des limites, cadrer, sanctionner, etc. Mais c'est un équilibre. Sur mon chemin, j'ai eu le discours "ça va être dur donc pas de chouchoutage, faut avancer et encaisser et c'est tout." C'est pourtant les moments de douceur, de bienveillance en opposition à maltraitance - les vrais, pas la pitié que j'ai toujours détestée - qui m'ont donné le plus de force, celle qui est une vrai force et pas seulement une carapace blindée dans laquelle on finit par étouffer. La bienveillance est un mot important, mais dans notre société, les mots sont utilisés à tort et à travers.
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P
De l'ambition, de la pugnacité, des efforts, un projet…<br /> <br /> Qu'est-ce qui s'est cassé alors dans la machine ? <br /> <br /> Les familles auraient perdu toute exigence ? toute envie d'élever leurs enfants ?<br /> <br /> Est-ce que "il est interdit d'interdire" a tué le désir d'effort ?<br /> <br /> Ne pas se résoudre à la défaite, se relever…<br /> <br /> Le poison est-il dans la société ?<br /> <br /> Oups, pardon, je pose des questions, n'y réponds pas.<br /> <br /> <br /> <br /> N'empêche tu dirais quoi à des aspirants parents ? Parce que réveiller des presque morts, c'est sûrement impossible.<br /> <br /> Je me souviens de phrases entendues dans l'enfance « Fais ce que je te dis tu me remercieras plus tard. » <br /> <br /> <br /> <br /> La bienveillance, peut-être que ce n'est pas le mot qu'il faut changer mais la définition ? Penser au long terme.<br /> <br /> <br /> <br /> En tout cas, tes billets sont toujours des occasions de se repenser et de penser.<br /> <br /> Tu fais du bien.
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