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Val ...
10 janvier 2020

La veste

Cette histoire s’est déroulée il y a bien longtemps. Pourtant, les années n’ont pas estompé l’effroi en moi, ni l’accélération épouvantée de mon rythme cardiaque lorsque je me la remémore. 

C’était un samedi soir. Je déposais Elsa devant chez elle, à sa demande. Nous nous disions au revoir pour la dixième fois au moins, avec toujours le même émoi, et ni elle ni moi n’étions pressés qu’elle ouvre la portière et quitte ma voiture. Pourtant, nous ne nous connaissions que depuis quelques heures. 

La soirée, la rencontre, tout avait été si beau, si merveilleux. Presque irréel. Comme dans un rêve! 

J’étais tout à fait charmé par cette beauté frêle, fasciné par ce sourire discret et élégant, par ces manières délicates. Elsa était un envoûtement. Et, dans un dernier « Au revoir, à bientôt », qui dissimulait mal notre émotion, elle me quittait enfin. 

J’attendis pour démarrer qu’elle ait ouvert la porte de chez elle, et qu’elle soit entrée. Déjà, j’avais l’instinct de veiller sur elle, m’imaginant devenir bientôt son unique protecteur. J’avais espéré un dernier signe de main avant qu’elle ne disparaisse, ou un dernier sourire, mais elle ne s’était pas retournée. Il faisait si froid, aussi. 

Je suis parti, non sans avoir mémorisé le numéro et la rue de son domicile. Nous avions oublié, dans notre émotion tendre, de nous donner un rendez-vous ou un moyen de nous joindre. 

Je roulais en pensant à elle sur le chemin du retour. Et je souriais seul. En une seule soirée, elle m’avait ensorcelé. Et j’éprouvais des bouffées d’amour vif envers elle. Je nous imaginais déjà au temps des aveux tendres et émus. 

La revoir. Au plus vite. 

Il faisait très froid même dans ma voiture, mais j’étais réchauffé par les élans fous de mon cœur. Il me semblait que je l’aimais déjà. Et j’étais si exalté à l’idée de la revoir que ... 

Je réalisai soudain, moins à cause du froid que de l’image obsédante de sa silhouette s’engouffrant dans la maison, qu’elle avait gardé ma veste. Elle avait grelotté durant le trajet, et j’avais profité d’un arrêt pour ôter ma veste neuve et la déposer sur ses épaules. Elle avait souri de cette attention. 

Ma veste! Il fallait bien que je la récupère, autrement j’étais bon pour tomber malade! Et puis, j’avais tellement hâte de la revoir. La veste était un si bon prétexte. 

Je fis demi tour. Avec un peu de chance, elle ne serait pas encore couchée, pensai-je.

D’ailleurs, il me semblait avoir aperçu de la lumière au travers des fenêtres: ses parents avaient dû l’attendre. 

Je sonnai, et un homme m’ouvrit plutôt rapidement au vu de l’heure tardive. Je lui demandai, après avoir bredouillé de maladroites excuses, si je pouvais parler à Elsa. Le père me regarda avec des yeux mi ahuris, mi dépités. 

« Elsa est morte! », me répondit-il brusquement. Puis, se radoucissant un peu, il ajouta: « L’été dernier! ». 

Je lui expliquai qu’il devait y avoir une erreur - je songeai aussi à une mauvaise blague d’un père jaloux -  puisque j’avais déposé Elsa ici une demi-heure auparavant, et lui expliquai au sujet de ma veste. 

Le père s’emporta. Me hurla que ce n’était pas drôle de jouer avec les sentiments des gens, que j’étais un monstre, une ordure. 

Je ne comprenais pas. Elsa n’avait pourtant pas pu me mentir. D’ailleurs, je l’avais vue ouvrir la porte, ça j’en étais certain. Elle avait les clés de cette maison. 

Je commençai à imaginer un scénario plausible et me risquai: 
- « Je confonds peut-être, Monsieur. Il s’agit probablement de sa sœur, alors? 

Mais l’homme me répondit sèchement qu’à la mort d’Elsa, il avait perdu sa fille unique. 

Je ne savais plus que penser. Interdit, je murmurai seulement, comme pour moi-même : « C’est impossible... » . 

Mais l’homme m’avait entendu. Je vis un éclair de rage folle dans ses yeux. Il s’emportait tout à fait. 
- Impossible ? Ah, c’est impossible ? Qu’on m’ait pris ma fille unique? C’est impossible ? Eh bien, tu vas voir par toi-même, si c’est impossible, imbécile! C’en est trop! N’ai-je pas assez souffert? Suis-moi! 

Il traversa la rue en pantoufles et robe de chambre. La situation aurait presque été comique dans un autre contexte. Je le suivis, sans savoir où il me conduisait. 

Je le compris quand, dans le demi-jour qu’offrait un réverbère, je le vis ouvrir un portail métallique à la peinture écaillée. 

Le portail grinçait fort, et je compris, en entrant, qu’il s’agissait de l’entrée d’un cimetière. 

Je le suivis dans les allées entourées de tombes, et des frissons me parcouraient. Il faisait si froid. La terre était dure sous mes pieds tant elle était gelée. Et j’étais sans ma veste. Peut-être aussi que le lieu me glaçait également. 

Nous arrivâmes devant une modeste tombe, recouverte de terre gelée, sèche et bien tassée, entourée d’un petit cadre en béton blanc. Le tout d’une grande sobriété. Seule une plaque de marbre posée à même le sol indiquait : « Elsa S. , 1980- 1999 ». 

Je restai interdit. Ce pauvre homme m’inspirait une certaine pitié, et cependant mon esprit cherchait une explication rationnelle. Qui était donc la jeune fille que j’avais raccompagnée? Je ne trouvais aucune explication cohérente. Il faudrait que j’y réfléchisse plus tard, pensai-je. 

Je balbutiai de gauches excuses à ce pauvre homme. Il hocha la tête, tourna les talons aussitôt et marcha en direction de la sortie. Je lui emboitai le pas sans un mot. Je l’avais suffisamment tourmenté et importuné. 

Après quelques pas, il me prit soudain une irrépressible envie de me retourner en direction de la tombe une dernière fois. 

Et je vis, je le jure, sortant de la terre sèche et bien tassée .... une manche de ma veste! 

Je restai les yeux fixés quelques minutes, comme pétrifié, sur ce morceau de tissus sortant de terre. C’était bien un bout de ma veste, ça ne faisait aucun doute. 

J’ai songé à crier, à rappeler le père qui déjà atteignait le portail. Mais aucun son ne sortit de ma bouche. J’étais paralysé de stupeur. 

J’aurais dû, sans doute, revenir sur mes pas, essayer d’attraper ma veste, en avoir le cœur net. Mais la lâcheté et l’angoisse me firent fuir le cimetière d’un pas hâtif et inquiet. J’étais glacé d’effroi. 

Aujourd’hui encore, ce souvenir occupe mes insomnies, agite mon sommeil, et provoque toujours en moi des frissons de stupeur et d’angoisse, qui me font chaque nuit espérer la levée du jour pour ne plus y penser.

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Commentaires
C
J'ai pensé à Poe. Une belle nouvelle, émotion, chute, suffisamment de mystère pour suggérer le reste du récit. Merci pour le cadeau pour lectrice.
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C
Je pensais à Poe. C'est une très belle nouvelle, dense, suffisamment mystérieuse. Joli cadeau pour la lectrice ;).
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J
Rien n'est définitif, on est sur un blog. Mais je trouve que tu as d'excellents départs de nouvelles, voire de romans.<br /> <br /> Il m'arrive souvent de bien démarrer sans trouver de chute intéressante, je crois que c'est le mal des amateurs dont je suis.
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J
Bonjour,<br /> <br /> le texte m'a plu, il y a là un excellent départ et des possibilités je crois pour développer et aller plus loin encore. Je pense à quelque décalage temporel, à mi-chemin du rêve et du dérangement mental passager provoqué par quelque élément extérieur...<br /> <br /> L'idée est excellente en tout cas, j'aime.
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A
L'intrigue est très intéressante.<br /> <br /> Elle s'inscrit dans une lignée d'un fantastique disons « ancien ».<br /> <br /> La première partie est bien écrite, le sentiment amoureux, le désir de revoir etc.…<br /> <br /> ensuite, l'épisode avec le père est plus froid et semble moins crédible. Il mériterait d'être travaillé et surtout développé.<br /> <br /> le lecteur commence à décrocher. Le secret du fantastique est qu'il doit beaucoup ressembler au réel tout en étant fantastique….<br /> <br /> Alors la manche de veste qui sort de la terre comme pousserait une plante… cela fait un peu « film de série B ». Cela devrait être plus subtil dans l'expression<br /> <br /> Mais l'idée est excellente c'est son traitement qui peut sans doute beaucoup s'améliorer.<br /> <br /> Il croit que c'est la manche de sa veste… il en est bien trop sûr bien trop vite…<br /> <br /> le lecteur n'y croit plus trop.<br /> <br /> Je ne sais si mes propos t'aideront.<br /> <br /> D'un autre côté, boucler une histoire en quelques lignes pour le blog, génère certainement ce genre de faiblesse. Ou alors il faut être vraiment très très fort dans le genre fantastique !<br /> <br /> Conclusion : un excellent brouillon ! Donc prometteur si tu retravailles ça…
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