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Val ...
24 janvier 2020

De l’impossibilité d’être aimé

Cette réflexion m’est venue à la suite de conversations au sujet de l’amour. J’ai cherché autour de moi, interrogeant mes proches,  les raisons pour lesquelles ils aimaient. Les réponses m’ont parues si insignifiantes, si vides de sens, qu’elles m’ont amenée à y réfléchir par moi-même. Il m’a semblé que plus personne ne pouvait dire au juste pourquoi il aimait, sauf énoncer des banalités et qualités que tout le monde possède s’il en fait l’effort (minime).

Pourquoi est-on aimé? Sur quels critères l’autre prétend-il nous aimer? Dans quelle mesure pouvons-nous nous sentir vraiment aimés? 

J’ai pressenti qu’être vraiment aimé serait être aimé sans mensonge, sans ne rien dissimuler  de soi ni atténuer de sa pensée profonde, et également sans se leurrer, c’est à dire sans se figurer objets d’amour inconditionnel comme dans les romans ou dans ce que la croyance populaire aime à croire. 

Il faudrait poser les conditions, tout d’abord. Comment être aimé réellement? Il me semble que ce serait pour ce que nous sommes intérieurement, au delà du commun, de l’apparence, de nos bonnes manières acquises et des usages et conventions. Voilà ce que suppose, au juste, d’aimer l’autre pour ce qu’il est ou d’être aimé pour soi. 

J’en ai déduit cette affirmation terrible: l’autre, qui prétend nous aimer, ne nous connaît pas. Ainsi, éternels inconnus, nous ne pouvons jamais être aimés pour ce que nous sommes mais pour des aspects extérieurs bien distincts de notre réalité intime. 

Dans une rencontre amoureuse, ce qui vient en premier logiquement est le physique, ou plutôt l’apparence globale. Inutile d’être un canon pour être apprécié physiquement. Il suffit d’émouvoir par un sourire, un regard, un corps, une pâleur. Et tout ceci, malgré une volonté de plaire ostensible et des gestes que l’on sait attirants, n’est pas nous et n’est la preuve d’aucune valeur. C’est simplement la confirmation et la mise en pratique de ce que l’on a compris sur la manière de mieux se mettre physiquement en valeur. Et cela, chaque individu, plus ou moins attirant, en est capable. 

D’autant plus que les apprêts y sont pour beaucoup. Évidemment, nous choisissons ce que nous portons, mais est-ce encore notre personnalité ? Non. Nous serions alors aimés pour notre bon goût avant tout. Ainsi que pour des postures apprises et, si on a de la chance, pour un physique avantageux de naissance. Rien qui ne nous est propre. Rien qui ne nous distingue intérieurement et spirituellement, en tous cas. 

Et j’ajouterais qu’être aimé pour une apparence, pour ce que l’on dégage physiquement, n’est pas être aimé en tant qu’individu. Il s’agit le plus souvent de correspondre au plus juste avec ce qui peut émouvoir ou charmer l’autre, pour des raisons qui lui sont propres à lui et qui, souvent, nous échappent. En somme, il suffit d’être conforme, presque par hasard, à ses critères personnels. Et ce n’est pas être aimé pour soi, mais approcher involontairement d’un idéal d’apparence bien spécifique que l’autre s’est construit intérieurement, plus ou moins influencé par des modes ou un fantasme intime. 

Passée l’étape du physique, viennent les classiques « il est gentil, serviable, poli, drôle, etc » . Et, avec eux, j’ai vite compris que les gens aimaient surtout une posture, une apparence d’amabilité, une capacité à rendre service, ainsi qu’à divertir.

 Ces obligeances ne sont pas, pour moi et à elles seules, motifs d’amour. Le plus souvent, elles sont faites avec l’espoir légitime d’être aimé, de séduire, de plaire ou de ne point trop contrarier. Et cela semble fonctionner: soyez beau, drôle et obligeant, et l’on vous aimera. Vous serez unanimement gentil, donc aimable, et par extension, vous serez aimé. 

Mais tous  ces critères ne sont que des actes, qui relèvent bien plus d’une conduite apprise, d’une éducation , afin de ne pas déplaire plutôt que d’une réelle volonté de montrer son intériorité. Qui, au fond de lui-même, ne sait être que gentil, drôle et obligeant? Qui se contente d’une intériorité aussi médiocre ? 

Mais alors, comment se sentir aimé si l’on est jugé uniquement sur des attitudes apprises et répétées, et dont tout le monde est capable au juste à dessein de plaire? Cela sous-entendrait que chacun, ayant les mêmes dispositions à se rendre agréable, peut remplacer aisément l’être aimé, sans que cela ne fasse aucune différence ou si peu. On ne pourrait comparer qu’à partir de nuances de sympathie, de drôlerie, de bontés. 

Nos actes, comme je l’expliquais dans un précédent article, ne sont jamais ou rarement le reflet de ce nous sommes profondément et de ce que l’on pense. Ainsi, pour moi, être aimé sur un acte ou sur une somme d’actes, sur des agissements qui relèvent probablement plus d’automatismes ou de rituels, n’a aucune valeur. On serait alors aimé pour ce qui, justement,  ne nous différencie guère des autres, et donc pour une conformité, pour un consensus. En somme, pour ce qui ne fait pas de nous un Individu mais tout l’inverse. 

Ces raisons me paraissant évidentes, je passe donc aux raisons pour lesquelles nous ne pouvons être aimés vraiment, même en ayant cherché à nous montrer à l’autre tels que nous sommes, même en ayant tenté d’être très sincères. 

Ce que l’on est vraiment, dans les rapports humains classiques, donc superficiels et convenus, reste toujours inaccessible à autrui. J’entends par là, et je l’ai déjà expliqué dans un précédent texte, que puisque l’on ne peut jamais se livrer entier et fidèle à soi-même dans ses actes, personne n’est en mesure d’avoir accès à notre intériorité. Cet éclair de lucidité m’a provoqué, je le jure, l’effroi et la stupeur d’une lame froide enfoncée dans mon corps. 

J’ai réalisé soudain, au cours d’une réflexion à ce sujet, que je ne pouvais pas être aimée pour ce que j’étais. Je veux dire pour l’au- delà de ce que l’on me suppose d’amabilité et de qualités reconnues à tort comme nobles. Nous ne pouvons pas être aimés, malgré une ferme volonté de transparence, toujours condamnés à demeurer  à jamais étrangers à autrui, et ce pour  les raisons que je vais tenter de développer. 

Il faudrait admettre, d’abord, qu’un sentiment, quoi qu’en dise le romantisme rassurant, ne peut être constant. 

Qui peut éprouver une tristesse continuelle jusqu’à la fin de ses jours, et tous les jours de la même façon? Personne! Et heureusement. L’Homme est changeant, mouvant, plein de vie, empli de vitalité, et courant derrière de multiples priorités. Ainsi, personne ne peut aimer quelqu’un aussi intensément à chaque instant de sa vie. Personne. Un jour on aime infiniment, le lendemain le besoin de solitude ou d’ouverture sur le monde se fait sentir. 

Et cet amour, hier éprouvé , n’est plus ressenti qu’en loin, et de manière moins nette. Voire plus du tout - provisoirement- comme une priorité en nous-mêmes. 

Être aimé pour ce que l’on est irait de paire avec la compréhension, par l’autre, de ce phénomène tout à fait légitime et naturel. Une grande sincérité, une intégrité et une volonté de vouloir se dévoiler et ne rien cacher de soi nous ferait dire: « Non, aujourd’hui, t’aimer n’est pas la chose à laquelle je pense en priorité, mais ça reviendra ». Ce qui est pourtant une réalité nous est impossible à exprimer. L’autre se sentirait rejeté, banni, trahi. Il ne voudrait pas entendre cela, y préférant un mensonge commun qui rassure. Même s’il a plus ou moins conscience de la duperie, l’autre voudra qu’on lui serve toujours la même soupe mensongère mais qui nourrit et réchauffe comme une chaleur artificielle : « Je t’aime de manière constante et inconditionnelle, chaque jour et pour toujours ». 

Voici à quoi nous sommes réduit dans toute relation qui implique un sentiment d’amour: à mentir en conscience pour apaiser et faire plaisir à l’autre par un grossier mensonge. Et c’est pourquoi l’autre nous aime, précisément. Pour ces déclarations erronées et ces fausses preuves d’amour. 

Comment peut-on donc être vraiment aimé puisque l’autre nous aime principalement pour ce qui ment en nous, pour ce qui n’est pas nous mais qu’on dit par obligeance, bonté ou pitié, ou pour se débarrasser de longues explications suivies de reproches et de larmes, de mots culpabilisants et de faiblesses et peurs exprimées? On n’est aimé que dans la mesure où l’on rassure l’autre, même si c’est à l’aide de mensonges plus ou moins grossiers. 

Ce que l’on ressent profondément, intimement, doit être tu, modifié, édulcoré, et ce que l’autre aime en nous est cette constance qui n’est pourtant que simulacre d’amour. 

Et je ne parle encore pas de l’évocation de fantasmes sexuels qui excluraient l’autre mais qui font tout de même partie de nous, ni même d’immoralités pensées, d’instinct brutaux, de bestialité en nous, de pulsions destructrices. Tout ce que l’on nomme notre « jardin secret », terme bien pratique pour justifier ce que l’on tait impunément, c’est à dire sans la culpabilité de dissimulation ni l’impression de se corrompre en le taisant. 

De même, nous respecterions mieux les gens aimés, je pense, en leur explicitant clairement et froidement ce que l’on n’aime moins chez eux, en leur montrant leurs failles. Le silence ou l’indulgence sur ce qui fait défaut en eux n’est au fond qu’indifférence et manque d’égard. C’est qu’on les croit incapables de s’améliorer, ou que l’amélioration de leur personne nous importe peu, au fond. Une sorte de négligence grave, à mon avis, qui s’assimile à les traiter en enfants trop immatures pour se corriger. 

Montrer du doigt, même sévèrement, les failles d’autrui, c’est l’estimer, et également lui reconnaître la faculté de s’élever, de progresser. C’est le signe d’un grand respect et, implicitement, c’est confier à la personne les clés de la permanence de notre sentiment: « C’est en corrigeant ces défauts que je continuerai de t’aimer ». C’est même, par extension, leur montrer notre volonté de continuer à les aimer, en leur permettant de rester dignes de notre amour. 

Pourtant, les gens qu’on aime se sentent blessés et supposent une baisse d’amour quand on leur signale leurs défauts.  Ils n’entendent pas comme nous les respectons en nous autorisant ces sincérités, au risque que ce soit mal pris.

Et c’est  absurde d’être mal reçu et de provoquer chagrin et colère quand justement on leur donne une preuve d’attachement ou du moins de respect. 

Le rapport avec l’impossibilité d’être aimé? Eh bien, à force nous nous taisons sur leurs failles, de peur de les blesser, et rapidement ils nous aiment sans connaître ce que l’on pense d’eux, car ils ne veulent pas entendre - savoir -  le négatif. Ils n’aiment de nous que la partie qu’ils nous ont autorisé à montrer ou celle que nous-mêmes nous nous autorisons à dire afin d’éviter de les froisser. Nous sommes rapidement aimés pour ce que nous avons appris à dissimuler, et qui passe pour une indulgence, une bonté, une grandeur d’âme (« il m’aime comme je suis, avec mes faiblesses et mes défauts »), mais qui n’est au fond qu’une retenue, qu’une censure, qu’une dissimulation de notre avis. Et donc, plus du tout nous-mêmes ! 

Je garde le « meilleur » pour la fin. On me rétorquera probablement, comme un dicton rassurant et chanté partout, que l’amour ne s’explique pas, que c’est comme une magie, comme une volonté divine « parce que c’était elle ». C’est bien pratique, cela. Ça évite de réfléchir à pourquoi l’on aime, au risque de ne trouver au fond de soi que du vent et des caractéristiques communes et dérisoires, au risque de réaliser que n’importe qui d’autre sachant se tenir, ayant appris les mêmes codes, ferait l’affaire aussi bien que la personne « aimée ». Plutôt mourir que d’admettre, que d’avouer cela! L’amour est si pur qu’il ne se justifie pas! Comme les croyants n’ont pas besoin de preuves et aiment Dieu de manière indiscutable. Que c’est commode! 

On y préfère les simulacres d’amour, dans lesquels on tombe parce que la solitude serait bien trop lourde à porter. L’humain, grégaire et influencé par trop de romantisme, de morale bête, de littérature idéaliste et de sentimentalisme, semble avoir besoin de se sentir aimé. On ne veut pas voir que c’est une fausseté, on veut croire que l’autre nous aime et qu’on l’aime en retour, point. Seulement, à bien y réfléchir, il n’aime que ce qu’il sait de nous, c’est à dire bien peu et surtout le superficiel. 

Mais pour peu que l’on s’y plonge un peu, on réalise comme cet amour est un leurre. Nous ne sommes aimés au fond que par des gens qui ne nous connaissent pas au delà de ce qu’il est décent de montrer ou au delà de l’apparence de personnalité que nous dégageons. C’est à dire pour tout ce qui n’est pas nous. 

Voilà pourquoi on ne peut être aimé. Seuls nos mensonges et ce que nous montrons, c’est à dire peu et surtout du convenu et de l’appris, paraissent aimables en nous. 

Voyez, pour preuve, comme ce blog se vide. Depuis que je montre qui je suis sans vouloir plaire. Je n’étais donc « aimée » que pour les superficialités que l’on veut trouver en chaque individu. Pour une apparence d’amabilité, pour une gentillesse de façade. Depuis que je suis « moi », les lecteurs se font plus rares. 

Être aimé vraiment serait donc être aimé sans feindre, sans cacher. Avec nos pensées intimes et nos sincérités. Et il me semble qu’en se dévoilant totalement, en confiant à l’être aimé ce que l’on pense en toute transparence, on ne récolte que des rancunes, des épanchements, une animosité injustifiée, des paroles culpabilisantes et de la colère. 

Pourtant, un être à qui l’on se confierait de cette manière, c’est à dire dans toute notre profondeur, serait pourtant un être que l’on aimerait tout particulièrement, à qui l’on ferait l’honneur en quelque sorte de se dévoiler, n’ayant plus d’intimité à lui cacher,  le rendant destinataire de toutes nos pensées. Un tel individu devrait se réjouir d’un tel don, se sentir important de ne pas être considéré comme le commun, comme celui à qui l’on ment par mondanités ou pour avoir la paix. Il devrait être fier d’être considéré, de recevoir notre être intérieur comme un cadeau, comme une forme d’estime, de confiance, et de profond respect. C’est qu’on l’estimerait assez intelligent et psychologue  pour nous toujours comprendre. C’est qu’on le jugerait capable d’accueillir chacune de nos paroles sans la juger à partir de préjugés et de lieux communs. C’est enfin que la vérité et la sincérité seraient plus importante à ses yeux que tous les déguisements dont se pare l’amour. 

Je ne suis pas contre l’amour, bien au contraire. De même que je ne prétends pas que l’amour n’existe pas. Je voudrais glorifier l’amour, plutôt. Lui rendre toute sa noblesse, le définir de manière à ce qu’il se distingue de ces parodies sans cesse répétées! 

Je ne renie pas l’amour. Je constate simplement qu’on en a fait un grand mensonge. L’amour pourrait être formidable, Ô combien, s’il était tel qu’il ne mentirait pas, qu’il ne feindrait pas, qu’il ne chercherait à se conformer à aucune morale, à aucune mièvrerie romantique. 

L’amour serait noble et grand s’il s’agissait d’être aimé pour soi-même, pour toute son intériorité, sans avoir à rougir d’une sincérité ni à demander pardon d’avoir pensé. 

Ah, que ce serait beau et sain, alors, d’aimer et d’être ainsi aimé !

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Commentaires
J
Pfffff, l'amour est une maladie auto-immune dont on peut parfois guérir en gardant de graves séquelles... mais quand j'aime, je ne me pose pas autant de questions, je fonds :D Et à l’impossibilité d’être aimé je préfère la possibilité d'aimer :)<br /> <br /> Belles réflexions hyper peaufinées, merci Val de les partager !<br /> <br /> Bon weekend.
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C
Petite question, tu parles de quel type d'amour ? Ou tu parles de l'amour en général : amour, amitié etc...le tout compris sous le mot amour ?
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H
Méthodique, presque trop quelquefois à vouloir épuiser systématiquement la notion. D'autant que tu ne dis encore presque rien de ceci et qui est peut-être le principal : c'est que les gens veulent surtout aimer, ils ont cette conscience obstinée de se démontrer bons. Pourtant, si on les sondait bien à fond, on vérifierait généralement qu'ils ne "tombent" amoureux que lorsqu'ils en ont le temps et l'envie.<br /> <br /> <br /> <br /> Et puis, cet autre problème, vertigineux : On n'aime bien, tu le dis, que des individus, que des identités, que des singularités ; mais alors, qui pourrait-on aimer aujourd'hui ? - il n'y a plus que des conventions d'homme ! Il faudrait, idéalement, des génies négligents qui ne songeassent pas à aimer : et puis, dans leurs études, ils rencontreraient des êtres qu'ils admirent, et ils ne se résoudraient à les aimer qu'autant qu'ils les admireraient.<br /> <br /> <br /> <br /> ...Cela donc n'a rien à voir avec l'amour tel que nous le connaissons.<br /> <br /> <br /> <br /> P.-S. : Je suis très curieux de savoir combien de temps il te faudra pour virer de dégoût celestine T.
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C
Il n'y a pas d'explications à l'amour. Aussi, dès qu'on essaie de trouver des raisons pour lesquelles on aime, on se trouve bête et plat...<br /> <br /> J'en reste à la phrase de Montaigne et La Boétie<br /> <br /> Parce que c'était moi, parce que c'était lui...<br /> <br /> •.¸¸.•*`*•.¸¸☆
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P
Il parle de charme, d'enchantement, de félicité (même s'il ne dit pas le mot), il n'explique pas, il parle de vénération.
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