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Val ...
27 janvier 2020

Le Triomphe

(Devoir du Goût ) 

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Ils avaient joui plusieurs fois durant cette journée, enfermés comme des prisonniers bienheureux dans cet appartement. Puis ils s’étaient rhabillés. À présent, chacun était songeur. Elle ne savait à quoi il pensait, le regard vague tourné ainsi vers la fenêtre. Elle,  elle pensait non sans trouble à son rêve éveillée de l’autre nuit, qui l’avait laissée dans une grande confusion. 

Lui en parlerait-elle? 

Lui ferait-elle cet aveu impudique ? 

Elle n’en savait rien. L’idée était tentante, cependant. Elle l’aimait assez pour partager chacune de ses pensées avec lui. 

Seulement, cette fois, c’était allé un peu loin, sans doute. 

***

Cela s’était produit quelques jours auparavant. L’idée fixe l’avait tant rongée, allant jusqu’à la réveiller la nuit, lui glaçant la peau, la plongeant en des sanglots irraisonnés, qu’elle n’avait pu faire autrement que d’aller l’explorer en fond. Avec la résolution ferme de l’exorciser une bonne fois. 

Ce cauchemar, apparaissant en visons furtives toujours refoulées, la hantait tant que, n’y pouvant plus, elle avait décidé de changer de stratégie: elle visionnerait tout mentalement, regardant en face et affrontant jusqu’au bout. Une bonne fois! 

Pour cela, elle prit soin, au préalable, d’inventer un scénario à peu près plausible. Elle songea même au décor, y ajouta des détails, choisissant jusqu’à sa tenue à lui. Ne rien laisser au hasard. Vivre la scène et ne pas s’en détacher. Accueillir la  souffrance. 

Et, une fois toutes ces broutilles réglées, elle se lança dans le visionnement de son film imaginaire. 

Qu’elle pleure un bout coup! Qu’elle voit tout! Qu’elle supporte l’intolérable afin de ne plus jamais devoir y revenir. Voilà quelle était son unique motivation. 

Alors, ce soir là, seule dans son lit, elle ferma les yeux et le vit. Elle avait choisi pour décor leur propre appartement, ainsi que de lui faire porter son costume noir, qu’elle trouvait si élégant. Cette idée qu’il eut pu s’habiller de manière très chic  pour l’occasion et choisir leur lieu d’amour furent les premiers coups portés en son cœur. C’était pourtant son cerveau à elle qui avait tout  décidé. Lui n’avait rien voulu, innocent pantin d’un délire imaginaire. Mais quitte à souffrir, elle ne voulait rien s’épargner. 

Et puis, c’était arrivé : elle avait tout vu. Spectatrice invisible d’un acte qui ne se joue qu’à deux d’ordinaire. 

Elle l’avait observé la déshabiller, cette inconnue à laquelle elle n’avait donné qu’un corps sans visage. Un corps somptueux, d’ailleurs, appétissant et sensuel, pour mieux souffrir de la vision. Elle avait regardé attentivement ses expressions de visage à lui, son désir avide de ce corps étranger. Elle avait suivi  des yeux ses mains empoignant de petits seins fermes. Elle avait scruté chaque détail avec une obstination qui s’apparentait à une sorte d’attrait  malsain, comme on aime à regarder une scène d’accident sur l’autoroute, avec le désir réprimé d’y voir des horreurs. 

Elle avait longuement mesuré des yeux son ardeur grandissante, minute après minute. 

Ne rien négliger, ne passer aucune étape, souffrir une bonne fois et ne plus y revenir. 

Et puis, il l’avait prise par derrière, cette femme imaginaire et docile. Elle était restée fixée, comme captivée, sur cette scène longtemps retardée. Il la maintenait fermement par la taille, la perçait vivement, et en grognait de plaisir. 

Il avait le même visage que lorsqu’il la baisait elle. Les mêmes gestes fermes, les mêmes mots. 

Et elle ne parvenait plus  à se détacher de cette vision. Pire encore, Elle ne souffrait nullement comme elle l’avait imaginé : elle était intriguée plutôt, absorbée, envoûtée par la scène. 

Le fruit de son imagination méthodique, la souffrance à son paroxysme, n’étaient pas venus. Pas tout à fait. 

Au contraire, elle éprouvait à présent une sorte de fascination pour cette scène inventée, sensée la plonger dans un tourment terrible. 

Si bien que bientôt, elle se décida à changer le scénario : elle ne serait plus invisible. 

Il savait à présent qu’elle était là, tout près, et qu’elle le regardait s’agiter dans cet autre corps, consommer cette autre femme. Et lui aussi semblait en tirer un certain plaisir. 

L’horreur était devenue un jeu. 

Tout en maintenant des hanches anonymes et engouffrant son sceptre entre des cuisses étrangères, c’est elle qu’il regardait pourtant dans les yeux avec un regard de défi. Et il en paraissait très excité. 

Elle eut presque honte de trouver beaucoup d’attrait à cette scène incongrue. Mais il était trop tard à présent pour stopper là la vision. 

Aller jusqu’au bout. Le voir jouir d’un autre corps, une bonne fois! Qu’on en finisse! 

Et tandis qu’elle le supposait monter en extase, dans des mouvements de hanches plus réguliers, plus brutaux, avec des mimiques de plus en plus évocatrices d’une explosion proche, elle voulut entrer en scène, elle aussi. Non plus en tant que spectatrice. 

Elle était maintenant dans la même position exactement que la femme-outil, face à lui, le regardant toujours la prendre avec virilité. Mais à présent, elle aussi était maintenue, emplie par un inconnu qu’elle ne voyait pas, et qui n’était qu’un sexe en elle et deux mains tenant fermement son cul. 

Voilà. On allait pouvoir jouer la partie d’égale à égal!

Qu’il jouisse d’en posséder une autre, quelle importance? Puisqu’elle se donnait aussi.  

Elle gémissait fort, couvrant les halètements de sa rivale-objet. Et ses plaintes rauque et sonores n’étaient pas tant le résultat de l’extase de se savoir offerte à un inconnu qu’une volonté de capter son attention à lui, de lui montrer, par bravade, comme elle pouvait s’extasier de cette situation. 

Et tout dans ce songe devenait  torride et excitant. Tant que l’idée de départ, la souffrance supposée, avait tout à fait disparu. Il n’était plus question de continuer pour se faire du mal. S’il  fallait en finir, c’était à présent pour assouvir cette pression intenable entre ses cuisses. 

Elle le vit jouir enfin, s’enfonçant fort en la femme neutre, dans un râle qu’elle connaissait bien. 

Et, étonnamment, c’est son corps à elle qui tressaillit d’une brûlure mordante, c’est en son ventre qu’elle éprouva l’explosion salvatrice, et c’est entre ses cuisses à elle qu’elle ressentit les spasmes si caractéristiques. 

Une fois sortie de sa torpeur, seule dans son lit, alanguie et béate, elle réalisa comme elle avait triomphé : la vision d’horreur s’était transformée en un fantasme des plus inspirants. 

***

Non, elle ne le lui dirait rien de ce troublant songe. A quoi bon? 

Si elle avait pour habitude de lui indiquer ses envies et fantasmes, elle songeait que mieux valait taire les indécences.

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Commentaires
G
Il n'y a aucun geste de tendresse : c'est donc bien une histoire de cul uniquement...
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B
C'est chaud, certes... mais il semble qu'il ne s'agisse ici que d'amour mécanique fait uniquement pour vider les c....s du trop-plein qu'elles contiennent. <br /> <br /> Mais puisqu'il s'agit de fantasme... tout est permis; isn't Val ?<br /> <br /> Bravo, ton texte est une réussite... coquine, certes, mais on y croit !<br /> <br /> Je suis en retard pour poster mon commentaire...
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P
N'oublions pas que cela commence par un cauchemar ! Parler de fantasme ne me semble pas vraiment correspondre aux désirs de l'héroïne. J'y vois plus une sorte d'exorcisme, voire une sorte de vengeance (fantasmée, certes) d'une potentielle tromperie. Quoi qu'il en soit, j'ai beaucoup aimé !
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B
C'est bizarre, moi aussi, je trouve le texte assez froid. Peut-être que le fantasme évoqué est trop loin des miens.
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A
Très bon texte, qui tient en haleine dès les premières lignes, bien dosé dans l'escalade de plaisir et la nouveauté des scènes. La "position" finale est une réussite - un face à face jouissif. Le lecteur n'a aucun mal à suivre les pensées de la narratrice qui se déroulent naturellement et sans accroc. <br /> <br /> <br /> <br /> Vraiment, c'est plaisant !
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