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Val ...
10 février 2020

« L’Oeuvre », Emile Zola

Je lis un ou deux romans de Zola chaque année. Comme une sorte de retour à ce qui est toujours bon, bien écrit. Comme pour l’éviter dépit et frustration après avoir lu des dizaines de romans moins bien écrits. C’est une de mes valeurs sûres. Et je ne redoute même pas le jour - improbable - où j’aurai tout lu de lui. N’importe, je relirai. 

Puisque j’aime à replacer chaque personnage dans la saga des Rougon - Macquart, le personnage principal de « L’œuvre » , Claude, est un Lantier. Plus précisément le fils de Gervaise, la blanchisseuse de « L’assommoir ». Il est donc l’un des trois fils qu’elle a eu avec Auguste Lantier. Les autres étant Jacques (« La bête humaine ») et Étienne (« Germinal »), tous demis-frères de « Nanas ». Ayant lu les romans consacrés à sa mère, à ses frères et à sa soeur, il ne me manquait plus que « L’œuvre » pour achever ma connaissances de cette branche des descendants Macquart. 

C’est loin d’être anecdotique pour moi. Je reconnais à Zola, à travers cette fresque familiale , un travail plus complexe encore que l’écriture d’un simple roman. Ces entremêlements, ces sagas familiales m’impressionnent assez de travail . Il en est d’ailleurs de même pour Balzac et sa comédie humaine,  qui est bien plus complexe avec ses, je crois, deux milles personnages, liés entre eux par des liens familiaux, d’amitié, ou encore professionnels (même si l’on admet bien plus d’incohérences à la comédie humaine).

Claude est donc peintre. Il vit exclusivement pour son art.  Il est artiste au sens noble du terme, c’est à dire exigeant envers lui-même, perfectionniste, ne tolérant aucune faille, aucun défaut à son œuvre. J’aime cette manière de présenter l’artiste, bien plus juste que celles, fausses et fantasmees , qui supposent le génie qui succombe à une inspiration divine et crée sans souffrance, dans un délire créatif. 

Non, Zola montre la torture, l’épuisement, les nuits sans sommeil, les tourments intérieurs de celui qui sait qu’il n’a pas atteint la perfection, qui n’a pas accouché encore de son génie.  Il décrit également l’arrachement horrible causé par la frustration de ne pouvoir peindre un jour où l’inspiration est là. 

Claude, pourtant, est un artiste incompris. Il est avant-gardiste, et donc rejeté des conservateurs. Il combat pour imposer une nouvelle forme de peinture, mais il ne parvient pas à atteindre le succès. Chaque année, il peint une toile avec l’espoir qu’elle soit exposée au salon, en vain. 

Ce roman décrit le désespoir, le tourment, la fatigue, l’orgueil mais aussi le jugement sévère sur son propre travail. 

Et c’est aussi la bêtise, les œillères du publique qui est ainsi décrite. Les articles de journalistes imbéciles et bourgeois qui couvrent l’artiste de boue, sans ne rien y comprendre. 

Toutefois, quelque chose me surprend et me paraît peu plausible : Claude détruit ses toiles, dès lors qu’il les trouve ratées, mauvaises, incomplètes. Il me semble pourtant que l’artiste qui garderait son travail ancien pourrait le comparer, pour que cette conservation puisse servir à progresser et à mesurer cette progression. 

Non, Claude ne songe qu’à la toile future, à la suivante. Pour mieux y parvenir, il se débarrasse presque du travail de la toile en cours. Claude est un travailleur acharné mais également un utopiste et un rêveur: sa meilleure toile, il l’a imaginée,  mais la voit toujours comme l’hypothétique prochaine, et non celle pour laquelle il travaille durement au présent. Le rêve de la toile parfaite l’obsède d’une façon que chaque idée nouvelle qu’il trouve n’est pas encore assez puissante pour devenir son œuvre majeure. 

L’art est vu comme un poison empêchant le bonheur, un monstre qui pousse à travailler, à tout négliger au profit de l’œuvre. Ce travail harassant mange l’homme, le ronge, sans jamais ne lui procurer de grandes joies: chaque œuvre terminée est aussitôt jugée sévèrement par son créateur, jamais satisfait de son travail. Le soulagement du travail terminé n’est que temporaire. A peine s’il existe, d’ailleurs. Bientôt viendra  l’urgence de créer prochaine œuvre et les doutes et tourments qui vont avec. 

L’art, le travail artistique volent la vie de l’homme, lui ôtant définitivement toute légèreté, ne lui offrant que des perspectives de tortures et d’éreintements. 

Ironie du sort, le « plein air » peint par Claude, hué quinze ans plus tôt, est copié - et son tableau est même plagié - et finit par triompher au salon. 

Je ne sais pas peindre. Et c’est même pire : la peinture ne m’intéresse guère. Seulement, j’imagine, à raison, que cet art majeur se fait de la même manière que la littérature ou la poésie, c’est à dire à force de travail acharné et de douleurs. 

J’aurais d’ailleurs aimé que pour ce thème, Zola choisisse la littérature. À défaut, il l’évoque tout de même par le biais de Sandoz, l’ami écrivain de Claude. Et c’est Zola lui-même qu’il décrit en ce personnage secondaire. Sandoz, jeune, décrit le projet des Rougon-Maquart. 

 

 

« L’œuvre », c’est aussi une histoire d’amour. Ou comment une femme peut, très momentanément, éloigner l’artiste de son œuvre, lui faire passer l’envie de travailler à son art. Très temporairement cependant. 

Car c’est surtout, par amour,  l’abnégation de toute une vie qui est décrite. Christine va, par exemple, renoncer d’elle-même à sa vie de famille à la campagne pour que l’artiste retrouve Paris.  Christine est une femme amoureuse, acceptant et pardonnant tout, négligeant même son enfant au profit de l’homme qu’elle aime. 

La femme est triste, jalouse de la peinture, malheureuse de se sentir à la deuxième place, toujours derrière l’art. Le chagrin de voir s’éloigner l’homme qu’elle aime la dévore. Christine sent son homme lui échapper à chaque fois qu’il peint. 

Ces tourments de la femme amoureuse et fascinée me surprennent. Il me semble qu’une femme n’est jamais jalouse d’une œuvre. Christine est jalouse... de sa propre copie représentée sur une toile. Elle est jalouse de son image. Elle sent en la femme peinte la rivale suprême, la maîtresse du mari. D’ailleurs, elle se sent joyeuse lorsque Claude « tue » l’autre femme en crevant sa toile du poing. Et cette jalousie me paraît peu plausible. D’ailleurs, comble du paradoxe : lorsque Christine est tout à fait trompée par Claude, elle fait preuve d’une plus grand indulgence, une autre femme étant moins considérée comme un danger que son œuvre. Étrangeté qui selon moi est assez approximative en matière de psychologie féminine. 

Ce n’est pas cela qui tourmente une femme d’artiste, mais le temps que l’homme passe occupé à autre chose qu’à elle ou à son foyer. C’est que l’art  l’éloigne de la normalité de mari. 

Claude est un mari égoïste, qui a parfois des brusqueries involontaires envers sa femme. L’artiste ne voit plus ni femme ni enfant lorsqu’il est en création. Les choses du ménage, comme le manque d’argent, lui sont étrangères et restent très éloignées de lui. Christine doit assurer le quotidien, gérer les choses pratiques comme si elle vivait avec un enfant. 

Claude épouse Christine par une sorte de pitié. Comme pour se faire pardonner de n’être pas un mari normal, de ne pas considérer sa femme comme sa priorité . Il l’épouse ainsi presque sans le vouloir. Comme une bonté pour lui faire oublier sa peine de femme négligée. 

Et quand elle lui sert de modèle, elle est jalouse encore: lui ne voit plus que le modèle et la peinture en elle, et non plus la femme. Christine, ainsi, se torture toujours d’amour. 

L’artiste ne semble même plus désirer de femme. Sa puissance, sa virilité ne s’expriment que dans la création. Et là encore, cela laisserait supposer que l’homme qui crée n’a plus de sexualité, plus de désirs physiques, le tout étant comme remplacé par la puissance créatrice. Mais c’est nier l’homme à mon avis. 

À la fin, Christine croit gagner la partie, en lui faisant promettre de ne plus jamais peindre et de ne l’aimer qu’elle. Effort vain, égoïste et puéril. 

Je me suis intéressée également à l’enfant, négligé par son père artiste, et par une mère trop amoureuse pour être aimante. L’enfant est de trop au milieu de l’atelier, comme un intrus et une charge. 

Si déjà une femme est négligée par l’homme qui n’est passionné que de son art, un enfant est tout à fait un poids inutile. D’ailleurs, l’enfant, tout à fait livré à lui-même, méprisé, oublié, s’élevant seul, évolue mal.

 

Il est presque haïs par sa mère, ayant gâté son corps de jeune modèle. 

Entre le père qui ne vit que pour son art, et la mère qui ne vit que pour l’artiste, l’enfant n’est rien. Dans sa douzième année, il en tombe malade et en meurt. 

Et, le comble est que la seule œuvre que Claude réussit à faire entrer au salon est « L’enfant mort ». Et ce n’est qu’en regardant son tableau, au salon, que l’artiste éprouve quelque tristesse de la mort de son enfant. Ou plutôt, il souffre de l’indifférence de la foule pour le tableau présentant son enfant mort. Il ne ressent que par rapport à ses œuvres : sa femme, son fils, il n’a de sentiments pour eux qu’à les voir peints par lui. 

Le commerce de l’art, les spéculations, l’œuvre d’art comme placement financier sont également dénoncés . La valeur pécuniaire, le cours de l’art comme outrage à l’art lui-même, qui corrompt l’artiste et le travail. 

L’argent d’ailleurs est très présent dans ce roman. Entre les artistes miséreux, ceux qui épousent une fille riche et ceux qui renient l’art au profit du facile et du vendable pour en gagner. 

D’ailleurs, Claude, tombé dans une grande misère, doit se résoudre un temps lui aussi  à produire une peinture alimentaire, ce qui lui fait l’effet de devoir se travestir et le dégoûte. Il se sent déchoir à peindre pour vendre. 

Évidemment, c’est très bien écrit. Zola est fort en style, et c’est toujours très propre et fluide. Admirable d’écriture. 

Les tortures de la création sont bien décrites : Zola sait de quoi il parle. Dommage encore qu’il n’aie pas choisi l’écriture pour traiter du sujet. 

Pour autant, ce roman de Zola, bien que très bon, ne diffère guère des autres, le sujet mis à part. Comme dans chacun de ses romans, les caractéristiques des personnages sont exacerbés.

Ainsi, le génie incompris flirte avec la folie. De même, la fin est tragique. Le misérabilisme n’est pas loin, c’est bien du Zola. Et ça me fait l’effet d’une répétition. Dans le dernier Zola que j’ai lu , « Une page d’amour », déjà se trouvaient le corbillard et le cimetière, tout comme dans « La faute de L’abbé Mouret », qui finit par la mort tragique et inéluctable d’une jeune fille. 

Par ailleurs - et c’est un défaut lorsque ça n’a d’utilité que d’asseoir sa théorie du détraquement héréditaire - Zola, par son fatalisme, empêche l’artiste de devenir un grand homme, pour la raison qu’il est un Lantier. 

N’importe, Zola est un artiste. Il ne déçoit pas d’écriture. Dans le style, la précision, le mot juste, il fait preuve d’une redoutable perfection d’écriture. Zola excelle à ce niveau, c’est certain. 

 

Extrait choisi: 

 

Sandoz:

« Je vais prendre une famille, et j’en étudierai les membres, un à un, d’où ils viennent, où ils vont, comment ils réagissent les uns sur les autres ; enfin, une humanité en petit, la façon dont l’humanité pousse et se comporte… D’autre part, je mettrai mes bonshommes dans une période historique déterminée, ce qui me donnera le milieu et les circonstances, un morceau d’histoire… Hein ? tu comprends, une série de bouquins, quinze, vingt bouquins, des épisodes qui se tiendront, tout en ayant chacun son cadre à part, une suite de romans à me bâtir une maison pour mes vieux jours, s’ils ne m’écrasent pas! » 

 

" Le commencement de la semaine fut désastreux pour Claude. Il était tombé dans un de ces doutes qui lui faisaient exécrer la peinture, d'une exécration d'amant trahi, accablant l'infidèle d'insultes, torturé du besoin de l'adorer encore; et, le jeudi, après trois horribles journées de lutte vaine et solitaire, il sortit dès huit heures du matin, il referma violemment la porte, si écœuré de lui-même, qu'il jurait de ne plus toucher un pinceau. Quand une de ces crises le détraquait, il n'avait qu'un remède: s'oublier, aller se prendre de querelle avec des camarades, marcher surtout, marcher au travers de Paris, jusqu'à ce que la chaleur et l'odeur de bataille des pavés lui eussent remis du cœur au ventre. "

 

À venir (ordre non défini): 

« Laïcité et religion », Michel Onfray

« Journal intégral », Julien Green 

« Éloge du doute », Patrick Davido

« Les hauts de Hurlevent », Emily Brontë

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Commentaires
B
Claude ne serait-il pas aujourd'hui envieux de ses deux frères parce que chacun est le personnage principal d'un roman beaucoup plus célèbre que L'Œuvre ?
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A
Soit !
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A
(*exiger de ce dernier)
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A
Ne sois pas injuste : quand on écrit beaucoup et qu'on donne à lire gratuitement, c'est le lecteur qui est redevable à l'auteur, et il n'est nullement en droit d'exiger à se dernier un investissement supplémentaire en "remerciement" d'une lecture. Au surplus, l'auteur reçoit tout à fait légitimement l'effort d'un commentaire du lecteur et celui-ci se doit de l'écrire en "individu", c'est à dire en donnant de lui-même à la mesure de ce qu'il a reçu de l'auteur.<br /> <br /> <br /> <br /> Mais enfin, je ne nie pas moi non plus apprécier un échange riche et long, même si je maîtrise apparemment mieux mes frustrations que toi ! (Sourire...)
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A
Tu fais des critiques de plus en plus longues et complètes : c'est plaisant ! J'ignore si j'aurai le courage de lire ce Zola après avoir pris note de ton compte rendu : c'est le genre d'intrigue qui m'impatiente - une faiblesse de ma part ! <br /> <br /> <br /> <br /> (Comme tu réponds avec aplomb, dis-donc...!)
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