« Et l’on n’y peut rien »
Un jour, je le sais déjà, tu ne me seras plus rien.
Le feu s’épuisera inévitablement. Et je m’epuiserai à mesure. Je n’y pourrai rien cependant. Ni toi non plus.
Les promesses anciennes ne feront plus sens. C’est à peine si je me souviendrai en avoir jamais prononcées. N’importe si tu seras resté le même, mes attentes auront bougé, voilà tout.
Et d’ailleurs, tu auras changé à mes yeux, fatalement, ne serait-ce parce que tu ne seras plus la nouveauté qui fascine, que je ne me satisferai plus de te découvrir, te sachant par cœur.
Il est probable pourtant que je souffle quelques temps encore sur ce feu crevé, et de toute mes forces. Afin de le faire perdurer encore un peu, de me leurrer de cette illusion bête du « ça peut reprendre ».
C’est qu’alors, le souvenir des premiers instants d’amour me sera encore doux, que les débris des bonheurs passés sauront m’émouvoir assez pour désirer les conserver, comme autant de reliques précieuses.
Dernier effort vain. Les braises fumantes ne me réchaufferont plus tellement.
Je le sais et pourtant je feins de l’ignorer.
C’est le jeu amoureux qui s’illusionne et se complaît dans cette cécité folle, naïve, immature.
Aujourd’hui, tu es le monarque.
Mais demain?
Demain, tu seras l’importunité d’une présence en « trop », la preuve vivante d’une élection passée que je serai tentée de renier, et dont j’aurai honte peut-être. Je me demanderai comment j’ai pu t’aimer autant, comment j’ai pu supporter et même adorer ton être entier. Je ne saurai plus ce qui m’aura un jour poussée vers toi, mesurant tout ce temps perdu à entretenir ainsi une relation.
Rien n’aura lieu du jour au lendemain. Tout
se fatiguera progressivement: un brisement par ci, une désillusion par là, et puis un échec, une déception, un dégoût, une incompréhension. Et, peu à peu, la somme de tout cela se dressera devant moi comme autant de briques qui formeront un mur, que je me donnerai la peine d’enjamber d’abord, mais qui bientôt devient trop haut. Bien trop haut pour moi.
Viendront d’abord les doutes, qui bientôt se transformeront en un certain dégoût.
Oh, il demeurera, un temps, un reste de gratitude, un certain respect pour ce que l’on s’est mutuellement apportés, et je ferai en sorte, tant que je le peux encore, de toujours te parler de manière cordiale. Jusqu’au moment où l’importunité de ta présence deviendra plus forte, bien trop forte pour feindre ou entretenir une certaine mondanité.
Et alors je deviendrai ingrate. J’aurai évolué, voilà tout. Mes désirs se tourneront vers une autre direction, qui tu n’auras pas prise. J’avancerai sans regrets, ne me retournant même pas par pitié. Celui qui part se fiche de ce qu’il laisse derrière lui. Il est déjà passé à autre chose.
Il n’y aura pas même de nostalgie. Ce temps d’amour révolu ne vaudra plus rien à mes yeux. Le mur aura fait en sorte que je ne puisse même plus voir le bonheur dont je me rassasiais naguère. Et je sens, Ô combien, comme ce revers paraîtra bien injuste et cruel.
C’est que j’aurais pris de toi, avant cela, tout ce que tu auras mis à ma disposition. Je t’aurais auparavant tout à fait consommé, me servant de tout ce qui m’aura été utile en ta personne. Sangsue qui s’abreuve tant qu’elle peut du sang riche, somptueux, disponible et abondant de sa victime et qui s’en va se nourrir ailleurs en oubliant tout à fait l’individu qui l’a précédemment nourrie.
Ce jour arrivera. Tôt ou tard. Je le sais déjà. Je l’ai toujours su.
Mais, bien sûr, pour l’heure, je feins encore - à peine - de l’ignorer.