Les derniers
(Devoir du Goût)
Las, nous nous étions assis sur ce rocher. L’abattement était trop grand.
Que faire, à présent?
Rien. Il n’y avait plus rien à faire. La guerre était terminée.
À peine était-il encore utile de nous indigner intérieurement. À quoi bon, d’ailleurs ?
Non, décidément, il n’y avait plus rien.
Le temps où nous nous riions d’eux était révolu.
Nous n’avions plus de colère non plus.
Tout était joué. Tous les sentiments à leur encontre avaient déjà été éprouvés.
Le mépris s’était également essoufflé.
Il ne restait plus rien. Rien que du découragement et une vague tristesse, mêlée de résignation écœurée.
Nous ne nous tenions même plus par la main comme autrefois. Un geste de tendresse aurait été superflu, à ce moment, tant nos âmes amies semblaient unies.
Nous deux contre le néant.
Nous n’étions plus que deux, en effet.
Nous étions les derniers. Deux seuls individus à résister, à penser encore par nous-mêmes. Alliance aussi absurde que dérisoire. Coalition ridicule.
Et nous les regardions tous, moutons qu’ils étaient, aller se jeter à la mer avec enthousiasme, comme l’avaient suggéré les médias la veille au soir.
Nous aussi, il nous faudrait mourir. À quoi bon résister encore, à deux?
Pourtant, comme un dernier acte de résistance, nous refusions d’aller nous jeter à la mer avec le commun.
Nous serions les derniers jusque dans notre mort.
Pour l’heure, nous voulions encore regarder le troupeau marcher d’un seul pas, nous écœurer de ce spectacle jusqu’à la nausée, et qu’il nous pousse au suicide par dégoût.
Peut-être jouirions-nous l’un de l’autre une dernière fois?
Et puis appuyer sur la détente. En même temps.