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Val ...
5 avril 2020

Faire régner l’ordre

La première semaine, elle avait été indulgente et compréhensive. Bienveillante, dirait-on. Cependant, c’était peu dans son caractère. Aussi, cette complaisance forcée ne dura pas plus de sept jours, qui l’épuisèrent de bonté affectée. 

La semaine suivante, elle la passa à gueuler comme une aliénée. Décidément, un excès de permissivité ne lui réussissait guère. Elle s’est effrayée elle-même, d’ailleurs, de ses crises de rage hystérique. La situation lui échappait. Il fallait réagir. 

Elle réfléchit toute une nuit , pour sa santé mentale d’abord ainsi que pour sa tranquillité d’esprit, à la manière la plus efficace de renverser le pouvoir, en s’investissant d’une haute autorité de façon assez redoutable et très brutale, quoique sans accès de colère. Une dictature calme, en somme. De toute façon, ça faisait bien longtemps qu’elle ne pouvait compter que sur elle-même pour diriger son peuple. 

Au matin, elle avait trouvé. Il suffisait de disposer d’une ardoise et de craies. Le reste suivrait. Elle réunit ses troupes au petit déjeuner, les informant solennellement de son coup d’état. 

Les règles changeait. N’était-on pas en guerre, après tout? Notre cher Président l’avait prétendu, du moins. 

À partir de ce jour, chaque importunité serait sanctionnée d’une croix. Au bout de trois croix, le contrevenant écoperait d’une peine d’une heure de travail scolaire supplémentaire et en autonomie, c’est à dire isolé dans une pièce. Pour cela, elle avait pris soin d’imprimer une cinquantaine de pages: des multiplications à poser, des exercices de conjugaison, des textes à lire avec questions, des fiches de grammaire, des listes de problèmes tout aussi bêtes que mangeurs de temps. Rusée, elle s’était assurée que chaque fiche puisse être réalisée en toute autonomie, afin que la sanction ne l’importune pas elle-même. 

Néanmoins, dans sa grande indulgence, elle avait prévu la possibilité de se voir effacer une croix: il suffisait de consentir à une demie heure de travaux domestiques,  tel qu’un vidage de lave-vaisselle, un cirage d’escalier et autres réjouissances dont la liste était, elle, affichée sur le réfrigérateur. Cependant, il fallait se porter volontaire lorsque l’on avait seulement une croix ou deux. Quand la troisième croix tombait, il était trop tard et on devait travailler une heure en « autonomie ». 

Ces sanctions avaient de grands avantages. Premièrement, elles permettaient aux contrevenants  de s’entraîner en français et en maths. Deuxièmement, les tâches de rattrapage - calquées sur les stages pour récupérer des points au permis de conduire - réduisaient considérablement sa charge de travail domestique. 

C’était tout bon. Et au diable la bienveillance et l’indulgence. Au contraire, plus le temps passait, plus les importunités les plus légères étaient traitées avec une sévérité impassible et aussitôt consignées sur l’ardoise, de sorte que ça ne bronchait plus du tout à la maison. De même, en cas de dispute, il n’était plus question de tribunal improvisé, ni de plaidoirie pour prouver que c’est l’autre qui a commencé. Chacun une croix, point! Et au diable la justice! 

Au début, ils n’ont pas cru tout à fait aux nouvelles mesures annoncées (probablement la torpeur et l’incrédulité qui fait suite aux mesures les plus drastiques). Il a fallu faire un exemple. Et le premier s’est tapé une heure de tables de multiplications à recopier bêtement. Ça en a calmé une seconde qui, après deux croix, s’est mise à faire les carreaux. Le troisième, quant à lui, de nature prudente, a fait preuve de discernement en respectant scrupuleusement la loi. 

Comme elle n’a aucun goût particulier pour la cruauté, elle avait quand même décrété que les bons citoyens n’ayant aucune croix à leur actif se voient récompenser, en fin de journée, d’un bonbon. 

Et c’est ainsi que depuis, elle vit son confinement de manière sereine et sans être importunée. Elle retrouve enfin les joies de la solitude apaisante, du silence prompt à la réflexion, à la lecture et à l’écriture. 

Elle est passée, en l’espace d’une seule nuit, de l’ambiance d’un concert de heavy metal au calme studieux d’une bibliothèque ! 

Et au diable des moralisateurs au sujet d’éducation bienveillante. 

Nous sommes en guerre, je vous rappelle !

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Commentaires
H
Ah ! réjouissant ! délicieusement immoral et exprimé avec goût ! Ce n'est pourtant pas malveillant, à mon avis, mais la contrepartie du gîte et du couvert : toute location suppose au moins une absence d'importunité ; c'est à peu près ainsi que j'élève mes enfants, dans la justice, elles me craignent autant qu'elles me respectent, elles ne contreviennent pas aux lois domestiques que j'ai édictées, ou bien elles en payent le prix !
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W
Ben oui, c'est l'ordre nouveau ! ;-)
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A
Eh bien, tu m'inpressiones assez, sais-tu ! Drôle de machiavélisme ! Mais j'ai toujours dit que tu étais un peu névrosée... (Rire)<br /> <br /> <br /> <br /> Que fais-tu quand ils ne font pas leurs travaux forcés ? Quel est le stade supplémentaire de punition? (Bien vu, l'idée de gagner une croix par un travail domestique !)<br /> <br /> <br /> <br /> Et l'homme, dans cette affaire?
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