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Val ...
4 juin 2020

Débat Zemmour / Onfray

Que l’on ne se trompe pas. Je suis apolitique. Plus jeune et naïve, à une époque où je ne réfléchissais pas beaucoup, j’étais de gauche. Je votais à gauche. À présent, voter me fait l’effet d’une grande mascarade. 

Je pense notamment que le clivage droite/gauche n’est qu’une petite guerre d’ambitions personnelles et non pas un fort contraste d’idéologies. Peut-être même que beaucoup, parmi les figures politiques des partis, ne doivent leur famille politique plus à un concours de circonstances qu’à une conviction profonde. Ce serait un leurre de croire que telle figure de gauche se bat pour l’égalité tandis qu’une autre de droite défend profondément le libéralisme. Hollande n’a-t-il pas supprimé un nombre conséquent de lits de réanimation ? Les exemples sont nombreux. 

Non, chacun des deux ne songera qu’à se faire élire, par toute promesse populaire, suivant l’air du temps et répondant aux attentes des électeurs dans le seul but d’accéder à un haut mandat. Ensuite, le même oubliera ses promesses, ou du moins sera rattrapé par une réalité électorale: il occupera surtout le temps de son mandat à tenter ... d’en briguer un autre! L’idéologie ne comptera plus, il faudra rester populaire, ce qui occupera la majeure partie de son temps, le reste du temps étant occupé à faire en sorte que les électeurs oublient ses nombreux manquements. 

De même, je ne suis pas une admiratrice fervente et aveugle ni de Onfray, ni de Zemmour. J’ai déjà écrit ici un texte sur Onfray. Je lui reconnais de belles qualités, notamment une réflexion construite, intelligente, une grande culture philosophique, mais j’ai pourtant, ici même, expliqué comme depuis le succès, il a philosophiquement déchu. Quant à Zemmour, il est souvent pertinent, peut-être plus que Onfray sans doute, moins rhétorique aussi, plus « concret » je dirais. Je reproche pourtant à Zemmour certaines idées infondées et absurdes, comme sa bêtise sur notre prétendu héritage chrétien, que nous devrions cultiver. Entre autres. 

Bien que leurs idées semblent à l’opposé les unes des autres (dans un schéma gauche/droite, j’entends), je leur trouve de nombreuses similitudes. Ils passent pour des anti libéraux et anti Maastricht d’abord. De même, ils défendent l’idée d’un peuple souverain, et d’un état souverain et indépendant. Par ailleurs, les deux ont écrit des ouvrages sérieux, soignés, argumentés, travaillés. Je ne suis pas en train de donner un avis sur le fond, mais il est indéniable que chacun des deux a produit des essais de qualité. 

Et puis surtout, je les admire pour exceller dans l’art du débat. Du vrai débat, à coup de raisonnements, d’arguments qui tendent à convaincre, de démonstrations construites. Le tout sans beugler ni couper la parole à l’autre, gage d’éducation, preuve d’une certaine tenue. Je puis imaginer d’ici vos réticences sur Eric Zemmour. J’ai eu les mêmes, je le jure. À une époque où il me suffisait d’associer un individu à quelques paroles sorties de leur contexte et relayées par tous les médias. Il m’était si facile alors d’avoir un avis conforme à l’avis général. Ah! Que c’était pratique ! Pourquoi aurais-je dû me faire une opinion moi-même, puisqu’on m’en fournissait une « clé en main », faussement tranchée puisque tout à fait consensuelle. Pour juger de la valeur de ce journaliste, il m’aurait fallu faire un effort, c’est à dire le lire et le connaître au delà des quelques phrases choquantes qu’il a prononcées. À quoi bon me donner du mal, puisqu’il était tout à fait légitime de le détester par principe? J’étais bête alors, à peu près comme tout le monde. Je suppose qu’à cette époque, j’aurais, comme un automatisme, préféré Onfray d’emblée. Et sans fondement. N’est-il pas plus « fréquentable »? Ne répond-t-il pas, malgré des allures d’opposition, à un certain conformisme, par contraste avec Zemmour ? 

Aujourd’hui, fort heureusement, je ne me fie qu’à moi-même, je me méfie plus que tout de la bien pensance commune, et je vérifie automatiquement avant de me faire un avis. Tout manichéisme, concernant ces deux individus, serait pure absurdité. À tel point que j’en viens à penser que Onfray a plus déchu que Zemmour, que son Front Populaire est une sorte de début de campagne électorale, qu’il avance masqué, en s’entourant pourtant de qui pourrait être un futur ministre de la santé ou de l’éducation. Et je considère cela comme une fausseté, de celles auxquelles nous ont habitués les politiques. L’anti libéral, éternel opposant, utilise les mêmes outils que ceux qu’ils dénoncent. J’ai même constaté cette semaine qu’il se battait à présent avec les mêmes piètres armes que les  journalistes qui l’attaquent. Décevant, vraiment. 

N’importe. Cela n’entame en rien la qualité de ce qu’il a écrit auparavant. Tout comme Zemmour ne peut être résumé à quelques phrases idiotes ou mal interprétées. Trop réducteur. C’est donc sans parti pris au préalable que j’ai abordé ce débat, c’est à dire avec un avis vierge, n’ayant aucune idée à l’avance de qui je préfèrerais. À l’heure où je rédige ce paragraphe, je n’ai pas encore une avis ferme sur la question. 

J’ai été, en revanche, logiquement attirée par ce débat. Il est rare de pouvoir visionner un vrai débat, mêlant politesse des attitudes, une certaine dignité élégante et des éclats d’idées qui viennent se confronter. Cela me faisait l’effet, par anticipation, d’une sorte de duel à l’ancienne, c’est à dire à armes égales, de manière très gentleman et digne, d’un combat d’épées avec témoins pour sauver son honneur. 

Alors? Ce débat! 

Les deux hommes se sont affrontés durant une  heure. C’était respectueux, ce qui est assez rare pour être relevé. J’ai une explication logique à cela. Il me semble que l’on s’énerve lorsque, faute d’argument et de pensée construite, on panique à l’idée de perdre la face, d’être démasqué dans ses incohérences et ses insuffisances. Voilà pourquoi, il me semble, aucun des deux n’a haussé la voix. Chacun ayant bien réfléchi aux sujets abordés, ils ne se sentent à aucun moment pris en faute, et ainsi ne s’agacent pas. D’ailleurs, ils sont tout deux très clairs. Aucune idée ne paraît floue ou obscurcie par une imprécision, comme c’est souvent le cas dans les débats entre politiques. 

C’était même peut-être trop poli, dans la mesure où, sur plusieurs points, les deux sont tombés à peu près d’accord, non pas parce qu’ils ont les mêmes idées sur la question, mais par une sorte de complaisance réciproque qui fait qu’à tour de rôle, ils ont concédé à l’autre pour une idée qui ne leur est pas essentielle. C’est un peu dommage, mais la contrainte du temps, sans doute, à forcé cela, chacun évitant de perdre du temps sur ce qui ne compte pas tant. J’avais quand même espéré un débat plus contradictoire, plus passionné, plus élevé en somme. 

Sur le fond, je retiens tout particulièrement la façon dont Onfray évoque le souverainisme et à quel point il l’intègre dans l’individualité. Je le rejoins sur ce point: un individu doit être souverain de sa propre existence d’abord. On doit être seigneur de soi-même, autrement on est un esclave. 

Si le sujet des habitudes d’achat des classes populaires, avantage à Zemmour, c’est indéniable. Je me demande si Onfray feint d’ignorer comment consomment les français pour simuler une empathie avec son « ils n’ont pas le choix, les gens pauvres », qui est une sorte de misérabilisme, ou s’il est tout à fait déconnecté des classes inférieures, n’en fréquentant plus du tout, ce qui est assez paradoxal pour un homme comme lui, se prétendant la voix du peuple. 

Onfray, au sujet de l’isf, qu’il veut voir rétablir par portée symbolique quand cet impôt ne rapporte à peu près rien, m’est décevant là encore. Et je sens comme il a tout intérêt à porter des idées « symboliques », c’est à dire populaires, comme une stratégie, au détriment d’une rationalité et d’une efficacité financière dont Zemmour fait la nette démonstration. 

Idem au sujet des allocations familiales. Je trouve encore une fois Onfray très populiste, très racoleur, proposant des mesures séduisantes pour le peuple. Son envie de réduire les inégalités sociales - de manière surtout symbolique plus que mathématique - me dérange assez. 

Cependant, il se rattrape lorsqu’il affirme que l’on ne peut plus continuer à parler en termes de partis politiques. Pourtant, aussitôt, Onfray semble vouloir racoler encore, avec son idée de réunir tous ceux qui ne votent plus par exemple, comme s’il allait pouvoir entendre toutes les individualités. C’est une sorte d’utopie qu’il ne peut ignorer. 

Zemmour est plus cartésien. Cependant, il me déçoit à nouveau avec cette idée qu’il ne lâche jamais, toujours la même, d’une France qui doit encore assumer son héritage catholique et l’aimer comme on aime les fondations de sa civilisation. 

Mais Onfray, l’athée convaincu, me déçoit plus encore avec sa « sensibilité à la spiritualité chrétienne ». Bien sûr, il argumente de manière intelligente mais je ne peux m’empêcher d’y voir encore une séduction encore une fois, comme une corruption, une arrière-pensée de ne pas tirer sur des gens qui pourraient éventuellement le rejoindre. 

Monsieur Onfray, je l’ai perçu très nettement, semble surveiller son langage et faire en sorte de ne pas trop sortir du politiquement correct, à dessein de rester séduisant à la majorité. Et on sent nettement l’intention de consensus, de volonté de rassembler, quitte même à proposer, pour rire mais peut-être plus sérieusement qu’on ne le pense, à Zemmour de venir écrire dans sa revue. Onfray n’est plus un philosophe, il est devenu un candidat, et ne sait plus se comporter autrement qu’en candidat, c’est à dire en opportuniste, en commercial, voulant placer souvent sa volonté de rassemblement. 

Quant à  Zemmour, il a été fidèle à lui-même. Que l’on ne partage pas ses idées est une chose, mais on ne peut que saluer son intégrité et sa liberté de pensée. 

Zemmour est venu débattre sur ses idées, quand Onfray semble venu faire la promotion de sa revue.

Léger avantage à Zemmour, donc, pour moi. 

 

PS: Pour l’anecdote, mais qui est une curiosité : j’ai largement observé Zemmour, infiniment. Zemmour a un visage très expressif, à tel point que l’on peut anticiper, lorsque son interlocuteur parle, son avis sur ce que l’autre dit. Il est toujours attentif aux paroles de Onfray, son regard révèle une attention extrême : il s’imprègne des mots qu’il entend. Quand il est d’accord, Zemmour est un peu penché en avant, faisant oui de la tête, le sourire détendu, allant jusqu’à rire même . Quand Onfray dit quelque chose qui l’interpelle, Zemmour se redresse soudain, le dos bien droit, et ne sourit plus. Il a même un léger mouvement de recul de tête quand il se redresse, comme pour s’éloigner un peu de l’autre, n’étant pas en accord. 

Enfin, lorsqu’il est largement en désaccord et qu’il veut prendre la parole pour objecter, il a alors un sourire caractéristique, qui dépeint un certain mépris (non pour Onfray, mais pour l’idée du moins). Observez, si vous en avez la curiosité, car c’est assez éloquent.

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Commentaires
L
La télé invite à tour de rôle les clowns médiatiques, cette fois c'était Zemmour et Onfray, une autre fois ce sera Fabrice Lucchini et ainsi de suite, peu importe du moment que ça fait spectacle, que ça entretient et perpétue l'esbrouffe, tant que suffisamment de gens s'y laissent prendre et gonflent l'audimat... Pfffff....
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A
Heureusement que tu n'es pas en mesure de déchiffrer mon langage corporel, sorcière ! (Sourire)
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A
Ce que tu racontes ici sur ce débat m'ôte l'envie de le regarder ! Une heure, c'est déjà trop peu, même avec deux intervenants seulement : cette nécessité de réduire la durée des débats est un grand fléau de notre société, je crois. Si l'un des protagonistes est animé d'un désir de profit - élection, racolage, etc. - alors cela perd complètement de son intérêt : mieux vaut visionner les vidéos plus anciennes, qui sont toujours les plus sincères, avant le succès, à moins d'avoir à faire à une intégrité exemplaire. <br /> <br /> Ton P.-S. est une bonne idée : il ne faut pas négliger ce genre de petites observations apparemment dérisoires, car elles permettent également d'affiner la compréhension de l'homme qui s'exprime.
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H
Excellent, à mon avis. C'est une synthèse minutieuse et complète de ce débat. Je n'ai rien à ajouter de plus intelligent, si ce n'est ceci : lorsque les deux ne s'opposent pas, ce n'est pas tant, il me semble, parce qu'ils concèdent, que parce qu'ils ne sont pas entièrement sûrs de leur démonstration : M. Zemmour est mal à l'aise pour justifier en quoi son héritage chrétien devrait s'entretenir, et M. Onfray ne peut insister sur sa vision d'un peuple raisonnable et éduqué ; mais chacun pressent, je pense, que contredire l'autre sur ce point serait une façon d'extermination. Or, ils n'osent pas insister et réduire, ou bien, et c'est une autre hypothèse : ils ne savent pas ou plus le faire, se tenant toujours à la mise en œuvre des mêmes idées et des mêmes procédés ; en somme, ils sont peut-être infiniment moins bons improvisateurs, faute de nouveauté et d'adaptation, que tout ce qu'on peut imaginer.
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