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Val ...
24 juin 2020

Salammbô, (Gustave Flaubert)

Je n’aime pas Flaubert. Emma Bovary m’a ennuyée. J’ai lu plus récemment « Bouvard et Pecuchet », que j’ai trouvé impatientant. J’allai renoncer, songeant que décidément, le génie de Flaubert, qui semble pourtant éclatant aux yeux de tous, m’était, à moi, inaccessible. Et puis, on m’a conseillé Salammbô. J’ai consenti à le lire en me promettant que si j’en étais quelque peu déçue, c’en serait fini de Flaubert pour toujours. 

Le roman historique est l’une des formes qui me semblent les plus compliquées et laborieuses à construire. N’importe si les personnages sont réels ou fictifs, la toile de fond, elle, doit être un événement de l’histoire, et se doit d’être crédible. Reconstruire une réalité historique, rendre une atmosphère d’époque, supposent un long travail de recherches en amont. Ainsi, je suis assez admirative des romans historiques dès lors que j’y perçois une forte impression de réalité. Tout comme j’admire un auteur qui sait décrire avec précision et créer l’atmosphère d’un pays qu’il ne connaît pas, qu’il n’a jamais visité. Coupler les deux rend plus dur encore l’exercice. 

Je suis particulièrement impressionnée également par les récits de batailles ou de duels quand ils sont bons. Ceux-ci doivent être vivants, crédibles, réalistes, précis. Une bataille ne s’invente guère. Il faut non seulement s’être documenté, mais également pouvoir la vivre en imagination, avoir en tête un plan global du champ de bataille. 

Il faut une belle audace et beaucoup d’assurance pour se lancer dans un tel récit historique, et j’en suis bien incapable. 

Flaubert raconte donc le conflit sanglant qui opposa Carthage aux mercenaires barbares que la cité employa durant la première guerre punique. Ces barbares, mécontents de ne pas avoir touché la solde convenue, se révoltent contre Carthage avec une rage folle. 

À leur tête, Mathô, le chef des mercenaires libyens, tombe amoureux de Salammbô, la fille du suffète carthaginois Hamilcar Barca. 

Salammbô, quant à elle, est une sorte de mystique, une jeune vierge tout à fait dévouée à la gloire de la divinité Tanit. Cependant, elle aimera autant qu’elle haïra Mathô. Elle sera tour à tour traitée de traîtresse puis de libératrice de Carthage. 

Après des mois de guerre atroce, faite de batailles sanglantes, de famines, de cruautés, Carthage vaincra enfin grâce à Hamilcar. Mathò mourra de tortures et supplices infligés par les carthaginois un jour de fête: celui du mariage de Salammbô avec Narr’Havas, roi des Numides, le suffète lui ayant  promis sa fille en cas de victoire. Et c’est au milieu d’une apothéose mêlant cruauté et joie que Salammbô meurt à son tour, à la suite de Mathò, le jour de son mariage. 

Il serait bien compliqué de se lancer dans un résumé plus complet et plus fidèle. Ce roman raconte avant tout la guerre, avec ses nombreux sièges, il est bâti en chapitres, chacun d’un marquant un déplacements des troupes ou un revers de fortune de chacune des deux armées. J’ai donc retenu plusieurs thèmes. 

Le premier est l’extrême violence. Beaucoup de personnages des deux camps sont crucifiés. Hannon, l’autre suffete de Carthage, meurt des mains de Mathô, les ambassadeurs mercenaires sont crucifiés par Hamilcar. La barbarie sous toutes ses formes, du sacrifice des enfants pour Carthage que l’on brûle pour retrouver la faveur des dieux, au cannibalisme des mercenaires lorsqu’ils ont faim, est omniprésente dans ce récit de guerre, qui s’apparente à un enchaînement de tableaux de terreur, de sang chaud, de chairs broyées ou carbonisées. Flaubert est méticuleux dans sa description des cadavres qui se décomposent ou sèchent au soleil, des troncs sans bras, des corps sans têtes et du sang qui jaillit des artères. 

Tandis que rien de ces boucheries successives n’est épargné au lecteur, jusqu’aux détails les plus sordides et fascinants d’atrocité et de sauvagerie humaine, la sexualité, elle, n’est que suggérée. Les prostituées de Sicca sont pudiquement nommées « prêtresses accourues pour recevoir les hommes ». Celles de Carthage sont des femmes « que l’on fatigue d’amour ». Quant aux enfants nus et non circoncis, Flaubert laissera le lecteur s’imaginer quel usage il en est fait. 

Le viol, lui, est perçu comme un délice et un grand raffinement, les soldats recevant des femmes à violer en récompense. 

Salammbô, elle, la jeune femme aux chevilles liées par une chaînette en or garante de sa virginité, aurait souhaité devenir prêtresse de Tanit, mais son père le suffète Hamilcar refuse, et la réserve pour quelque alliance pouvant servir sa politique. Lors du banquet des mercenaires , elle croise le chemin de Mathò, chef des barbares, dont elle va tomber amoureuse et réciproquement. Ce qui lui causera d’être traitée de traîtresse par les gens de Carthage. Plus tard, Salammbô sera désignée pour aller récupérer le voile de Tanit, seule dans la tente de Mâtho, et précédemment dérobé par lui. Si le texte laisse suggérer un rapport sexuel entre eux, il n’est pas décrit. Il est seulement symbolisé par le fait que le chef des barbares brise la chaîne entre les chevilles de Salammbô. Son père Hamilcar, plus perspicace que le lecteur sans doute, voyant la chaîne brisée, s’empresse d’offrir sa fille en mariage au chef de Numides, à la condition de gagner la guerre. Si tout est à peine suggéré, ce roman dégage pourtant une grande sensualité, où l’on se figure l’égotisme plus qu’on ne le lit. 

Les mythes et les croyances sont d’une importance capitale dans cette guerre des mercenaires, et les rebondissements et revers de fortune sont souvent dus à la colère ou au contentement des dieux. Chaque protagoniste est sensible aux bons et mauvais présages. Les lions crucifiés sont, pour les barbares, un mauvais présage. Tout comme la mue du serpent de Salammbô lui promet un changement (la perte de sa virginité ?). Lorsque son serpent est malade, elle sent poindre sa mort à elle. Le zaimph, voile de la déesse Tanite est un objet sacré. On apprend que c’est un voile qui recouvre la déesse. Cependant Flaubert, si précis dans ses descriptions, ne le décrit pas, comme pour le rendre sacré au lecteur également. Sa perte apporte le malheur. C’est pourquoi Matho le dérobe. Il sait que perte du zaimph mènera Carthage à sa ruine. Le voile de Tanite en mains, Mâtho sort de Carthage sans encombre. Le zaimph effraie les Carthaginois qui n’osent le toucher. C’est aussi pourquoi Salammbô est envoyée pour récupérer l’objet: le retrouverez sauvera Carthage. Et dès qu’elle l’a en mains, le camps des barbares s’enflamme soudain, et l’armée de Carthage, qui était perdue, reprend alors un avantage inespéré. 

Plus tard, lorsque la ville est encerclée et laissée sans eau, les carthaginois se décident à sacrifier des enfants, en un énorme bûcher de jeunes chairs. Les sacrifices humains font alors venir la pluie presque instantanément, sauvant Carthage et inondant de boue les camps des mercenaires qui encerclent la ville. 

Enfin, Salammbô meurt étrangement le jour de son mariage. Elle trépasse au moment même où l’on arrache le cœur de Mâtho, après l’avoir longuement torturé pour prolonger son agonie, ce qui laisse supposer qu’elle meurt d’amour. Cependant, le narrateur affirme que c’est d’avoir pris le zaimph qui la tue. 

J’ai apprécié la lecture de Salammbô, plus que toute autre œuvre de Flaubert, il est vrai. Les récits de guerre sont vivants, méticuleux, audacieux de tortures épouvantables et de chaires déchiquetées. Les descriptions des lieux sont excellentes, suffisamment précises et évocatrices pour se figurer tout à fait le Carthage antique. Tout est teinté d’un exotisme oriental méthodique. L’atmosphère historique est très soignée en somme. Salammbô, le seul personnage féminin du récit, entourée uniquement de guerriers, est elle aussi une guerrière. Cette jeune femme décrite comme magnifique est d’une belle dignité presque héroïque, et n’a rien à envier à tous les hommes qui gravitent autour d’elle. Salammbô est presque envoûtante. Elle n’est pas tout à fait femme. Du moins, elle ne ressemble guère aux autres femmes de Carthage. Elle est un mirage, une presque- déesse. Salammbô est le raffinement sensuel et plaisant au milieu des barbaries les plus extrêmes. 

Je dois avouer qu’après une première lecture, je n’étais toujours pas convaincue par le grand style de Flaubert. Je ne me sentais pas impressionnée d’écriture, disons. Si je trouvais l’ensemble très bon, chaque phrase prise séparément me semblait d’une banalité et d’une facilité qui ne m’impressionnaient guère. 

C’est que je lisais mal. C’est au cours d’une conversation avec ce que je nomme un spécialiste en littérature que j’ai réalisé mes manques. Je me souviens d’une phrase précisément que je trouvais cruellement banale, terminée par deux adjectifs faciles et peu convaincants. Je n’avais pas mesuré que Flaubert utilisait le sens classique des mots, et que, étymologiquement, leur sens était très éloigné du sens que l’on leur donne communément. Je me suis fourvoyée de la même façon en jugeant mal son style. Même si j’avais une impression globale de dignité et de propreté littéraire irréfutables, chaque phrase prise séparément me semblait d’une banalité fade. J’ai relu plusieurs passages, après y avoir été invitée, de manière plus rigoureuse. En analysant bien chaque phrase, j’ai été surprise de trouver dans chacune d’elle au moins un mot détonnant, une tournure d’audace, mais légère en générale. Presque indécelable pour un lecteur inattentif. Flaubert use d’une élégance de style avec parcimonie, mais de manière régulière, à la façon des coureurs de marathon qui ménagent leurs efforts pour tenir sur la durée. 

De même, j’ai été longuement agacée par une surabondance, à mon sens, du point virgule, ce qui est peu fréquent. Je me suis fait expliquer la fonction du point virgule, et il me semble bien que je vais devoir prendre quelques leçons encore. Je ne l’utilise jamais. Et pour cause: c’est que je ne le maîtrise pas du tout. 

Salammbô est un excellent roman historique, un fameux récit de guerre mêlée à un égotisme enthousiasmant. 

Et je demande bien pardon à Flaubert de mes manquements, qui ont bien failli me faire écrire quelques énormités.

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Commentaires
J
Toute critique est subjective ; qui plus est, tu te laisse influencer... pffff :D<br /> <br /> Bien écrit, mais je me répète. Bonne fin de semaine, Val.
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H
Le ton de tes critiques s'améliore, je trouve, gagne en audace et en personnalité, en précision et en pittoresque, même si par moments il retombe en tournures plus plates - transitions notamment. C'est qu'une bonne critique littéraire doit révéler, selon moi, un double caractère : à la fois celui du livre et du critique. Cela induit d'apporter sur l’œuvre assez de subtiles précisions pour en dresser un portrait parfaitement exact, et cette exactitude, mise en rapport avec une vision critique singulière, rend logiquement une idée de l'exigence particulière et sensible qui l'a produite.
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B
J'ai peu de souvenir de Salambô lu il y a des années. Mais Flaubert... ah, Flaubert et son écriture admirable. J'aime bien ce que vous écrivez sur sa façon d'utiliser les mots en fonction de leur sens d'origine.<br /> <br /> Bonne journée.
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