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Val ...
25 septembre 2020

Chanson douce (Leïla Slimani)

Je me méfie des romans contemporains parce qu’ils me déçoivent de manière quasi-automatique. Je me défie plus encore des prix qui leur sont attribués. Chanson Douce, qui me fut conseillé par une cousine, a obtenu le prix Goncourt 2016. Tout pour qu’il ne m’attire pas, en somme. Seulement la cousine a insisté, et puis je veux rester ouverte et curieuse au monde. Et enfin, ce foutu bénéfice du doute ! 

Leïla Slimani décrit le lent processus qui pousse une femme à deux meurtres, et des plus terribles dans notre morale contemporaine : deux infanticides. Si ce roman a été parfois qualifié de thriller, c’est bien à tort. Il n’y a aucun suspense dans sont récit. Les premières pages traitent directement des meurtres atroces, commençant par la fin de l’histoire. Mais sans ne rien révéler pourtant du mobile des crimes. C’est ensuite par un retour en arrière (depuis l’embauche de la nounou tueuse par les parents ) que tout le processus mental qui pousse Louise au crime est décrit. Le but du récit est donc bien loin du suspense. L’auteur a voulu rendre une analyse, décrire une sorte de lente et irrémédiable déchéance psychologique jusqu’au passage à l’acte. 

Louise semble être la nounou idéale. C’est une perle. Maniaque, ordonnée, bonne cuisinière, corvéable à merci, aimante et dévouée, elle va faire le bonheur de la famille qui la recrute. Louise est si parfaite que peu à peu le couple, très actif, lui délègue de plus en plus de tâches domestiques et éducatives par confort et paresse. Allant jusqu’à lui abandonner une partie de leur intimité (elle dort parfois chez eux et les accompagne en vacances). Il en est de même pour leurs choix en matière d’éducation : la nounou, mois après mois, gagne du terrain de décide à la place d’un père absent et d’une mère un peu négligente, qui n’a pour ainsi dire pas de principes éducatifs et est bien contente que Louise en ait pour elle. Tout cela arrange le couple, au fond. Petit à petit, Louise prend un peu plus le pouvoir et se comporte en maîtresse de maison : la place est rendue vacante par des parents trop occupés et qui la lui laissent de bon gré et par confort. Elle occupe l’espace, se fait omniprésente, se rend indispensable jusqu’à en devenir envahissante. N’importe, elle est utile et libère le couple de nombreuses obligations domestiques. Elle se sent bien dans ce foyer, y est comme chez elle, elle qui n’a plus rien à elle. Sa fille a fugué, son mari est mort, elle n’a pas d’amis, est endettée et vit seule dans un meublé de banlieue qu’elle déteste et dont elle sera bientôt expulsée. Cependant, les enfants grandissent et avec eux, la crainte de Louise d’être congédiée à l’entrée à l’école du cadet. Alors - et on apprend au milieu du récit qu’elle a souffert auparavant d’une mélancolie délirante l’ayant conduite à faire un séjour en hôpital psychiatrique - elle va commencer à se raconter des histoires pour éviter ce licenciement. Non pas qu’elle tienne à son poste pour l’argent, mais ... elle n’a nulle part où aller, personne qui l’attend, rien à elle si ce n’est ce foyer qu’elle a tout à fait investi et qu’elle s’est appropriée. Louise se persuade que le couple va faire un troisième enfant. Elle veut y croire. Pour ne pas retourner à sa vie à elle, faite de misère et de solitude, il faut que cet enfant naisse. Il faut qu’il existe pour qu’elle continue d’exister. Cependant, et malgré ses efforts acharnés, malgré son obsession pour une éventuelle grossesse de Myriam, celle-ci n’arrive pas. Et voilà comment Louise commet l’irréparable. 

Si le sujet peut être excellent à condition que l’intrigue soit bien menée, c’est malheureusement en cela que Leila Slimani s’étiole. Elle manque de rigueur, de méticulosité dans la description progressive de la déchéance mentale. Le mobile du meurtre est mal défini. Évidemment, je l’ai compris. Cependant je l’ai plus deviné que lu, l’auteur ayant négligé ou bâclé certaines profondeurs psychologiques. Il m’a fallu réécrire mentalement de nombreux passages de manière à améliorer le récit, à le rendre à la fois plus profond et plus réaliste. 

Louise est terriblement seule. Elle n’a pas de point de chute, pas même un terrier confortable pour son repos. Même un animal sauvage a un refuge dans lequel il se sent à l’abris. Louise n’a rien sinon ce foyer qui n’est pas le sien. Elle n’est personne, n’appartient à aucun groupe, n’a pas de famille à part ses patrons, ne fréquente qu’eux et une autre nounou du quartier. A tel point que le week-end, elle dépérit et espère que Myriam l’appellera. Elle n’existe et ne se définit qu’à travers sa fonction, sans laquelle elle n’est plus rien. Comment ne pas s’accrocher à ses patrons quand cette famille est la seule qui comble un besoin d’appartenance ? Comment ne pas vouloir demeurer dans un foyer rassurant quand le sien ne lui procure aucune sécurité ? D’ailleurs c’est à peine si ses besoin physiologiques sont comblés en dehors de son lieu de travail. Seule chez elle, elle s’alimente peu et n’a même plus de quoi se laver correctement, si bien qu’elle prend même ses douches chez ses patrons. 

L’été approche, et avec lui la première rentrée à l’école du plus jeune. Louise a fait des efforts pour rester au service de la famille, gardant les enfants le samedi soir afin que le couple se retrouve... et fasse un troisième enfant. Efforts restés vains. C’est trop tard à présent. Dans quelques semaines, elle ne sera plus rien, n’existera plus pour personne et sera à la rue. Que pourrait-il lui arriver de pire ? Elle n’a rien à perdre, ayant déjà tout perdu. Et elle est en colère. Elle a tout donné à cette famille qui va la renvoyer comme si elle n’était plus rien à leurs yeux. Si elle perd tout, alors que Myriam perde tout également. Que tout bascule dans un grand fracas. Si elle doit tout perdre, autant que le sang gicle ! Ce serait injuste autrement. Et que lui importe à présent d’être une criminelle, d’aller en prison, puisqu’elle a déjà tout perdu et qu’elle n’est plus personne ? 

Seulement, tout cela n’est pas formulé. C’est à peine si certains arguments sont suggérés. On pourrait admettre que l’auteur a voulu que le lecteur devine seul, cependant, en ce cas elle n’aurait pas tenté de peindre les pensées et sentiments d’Alice. 

Par ailleurs, l’évocation du séjour de Alice en hôpital psychiatrique est une facilité pour l’auteur. Elle se sert de la fragilité psychique de son personnage à chaque fois qu’elle se sent approximative dans le déroulement du processus mental. Le déséquilibre de Louise devient alors une béquille qui élucide l’inexplicable. C’est une lâcheté, un appui qui corrige par magie toutes les faiblesses d’une analyse psychologique minutieuse. 

Ce roman n’est pourtant pas mauvais en style. C’est même assez étonnant pour un roman contemporain. Évidemment, il n’y a pas de ces tournures percutantes et admirables et qui vous frappent de splendeur, mais c’est relativement propre, disons. On sent l’effort de l’auteur, la rechercher de belles formules. Malheureusement, ces beautés de style sont au détriment d’évocations justes et plausibles. Parfois, les belles formulations desservent même le récit. Leïla Slimani choisit de produire du beau plutôt que du vrai, de la tournure inédite plus que de l’exactitude, de la métaphore poétique plutôt que du vraisemblable. 

C’est une écriture froide, sans pathos ni parti pris. Le narrateur est détaché, observateur objectif et sans affects. Il raconte le glissement, voilà tout, et d’une manière presque médicale ou mathématique. Les événements s’enchaînent sans parti pris, ce qui est agréable : on n’est pas dans un univers manichéen présentant une famille parfaite et un monstre inhumain. Au contraire, les parents sont un peu négligeants, la petit fille est très capricieuse et Louise apparaît comme une femme charmante, fragile et désemparée, et qui suscite une certaine pitié. 

Chanson Douce est considéré par nombre de critiques comme une œuvre littéraire exceptionnelle. C’est pourtant loin d’être le cas. Cependant, je comprends nettement pourquoi ce roman a reçu tant de commentaires élogieux. Il sort du lot de ce qui est généralement publié, dans le sens où il est juste un peu meilleur. Ce n’est en fait que par contraste avec ce que les éditeurs proposent que Chanson Douce est élu, parce légèrement au dessus de la multitude d’insipidités actuellement proposées. C’est bien dommage pour le lecteur, et même pour Leïla Slimani elle-même, au fond. Si la nullité de ses pairs lui permet le succès, on est tentés de penser que c’est tant mieux pour elle, mais il n’en n’est rien. Si cette jeune auteur avaient des rivaux sérieux, ils ne feraient que la pousser vers le haut, l’obligeant sans cesse à se surpasser et rendre de meilleurs écrits à chaque fois. Sans concurrence, qu’est-ce qui la pousserait à l’amélioration ? D’ailleurs, il ne m’étonnerait pas que depuis, elle ait régressé, ou au moins qu’elle ait stagné. Elle aurait tout intérêt commercial à le faire, d’ailleurs. Écrire un roman de meilleure qualité, c’est risquer de n’être pas lue, d’être considérée comme pédante, c’est s’éreinter en vain, c’est ne plus divertir le monde et lui infliger une lecture qui lui donnerait du mal. 

Mais enfin, c’est tout de même moche de considérer quelqu’un comme un grand auteur uniquement parce qu’il sort un peu de la boue habituelle et par contraste avec les autres qui y sont fort enlisés.

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Commentaires
D
PS: et je te déconseille toute poésie! ;-)
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D
Lis ou relis Zola ou Balzac puisque pour toi un auteur doit obligatoirement tout montrer et démontrer et te mettre les points sur les i. ;-)
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W
Mouarf !
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A
Ton billet m'a intéressé, puisque j'ai lu ce livre en son temps.<br /> <br /> Ta critique démarre par des a priori personnels sur les romans contemporains. Il suffit qu'ils aient eu le prix Goncourt pour ne pas valoir triplette. C'est son premier point de faiblesse. On devine que l'autrice ne sera pas épargnée. On pressant donc que des propos risquent de manquer d'objectivité et de pertinence d'analyse. Ce que la lecture va révéler.<br /> <br /> Il existe bien un suspense, mais qui n'est pas celui des habituels films policiers et autres. Le suspense est : comment une nounou idéale en vient à assassiner les deux enfants qu'elle aime, au sein d'une famille qu'elle apprécie.<br /> <br /> Ton commentaire fournit toutes les explications et même au-delà par des interprétations complémentaires personnelles, auxquelles on peut ne pas adhérer. <br /> <br /> Puisque tu expliques tout au futur lecteur : à quoi bon lire le livre !<br /> <br /> C'est vraiment divulgâcher ce roman fort intéressant par ailleurs par sa manière particulièrement intelligente de nous mener vers le dénouement en nous distillant subtilement tout au long des pages des éléments permettant de percevoir les troubles psychiatriques de Louise. Inutile dès lors d'exposer tous les tenants et aboutissants complexes d'une maladie mentale. Nous ne sommes pas en présence d'un traité de psychiatrie pour des étudiants en première année de médecine ! Nous sommes dans un roman, avec les règles de ce genre littéraire. En outre avec une autrice qui croit à l'intelligence de son lecteur. À tort peut-être.<br /> <br /> <br /> <br /> Enfin il y a une confusion sournoise tendant à amalgamer le livre et l'autrice. C'est limite méprisant de dire qu'elle reçoit le Goncourt parce qu'elle serait la moins pire de l'ensemble des idiots que sont tous les romanciers contemporains. Cette position n'est pas digne de toi. Comme quoi on finit toujours par sombrer dans les bêtises qu'on dénonce.<br /> <br /> Critiquer un ouvrage est légitime. Mépriser une personne ne l'est absolument pas.<br /> <br /> J'avais cru comprendre que cette distinction faisait partie de tes principes. J'ai dû me tromper.<br /> <br /> Mon commentaire ne te plaira pas. Il est cependant exprimé parce que je t'apprécie. Sinon je n'aurais pas pris la peine de l'écrire.<br /> <br /> Si tu le conçois autrement. C'est dommage.
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H
Exhaustif, à ce qu'il paraît : on comprend une demi-profondeur et bien des facilités dans l'exploration vraisemblable des motifs psychologiques. Le défaut essentiel du roman tel que tu le décris, c'est l'absence de mobile sérieux : l'assassinat ne se nourrit pas seulement d'un dépit, ou alors on tue ceux qui nous méprisent.
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