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Val ...
20 novembre 2020

Le père Goriot, (Honoré de Balzac)

Je me souviens parfaitement de ma première lecture du Père Goriot. J’étais lycéenne et, ayant peu lu encore, j’étais facilement impressionnable. Le Père Goriot m’avait paru alors écrasant d’excellence. Aussitôt, la Comédie Humaine tout entière m’avait intéressée et fascinée. J’y avais deviné le travail titanesque, y avais perçu le souci du détail, l’exactitude des formules. J’ai lu Balzac durant toute une année, et puis j’ai été attirée par Zola et ses Rougon-Macquart qui l’a largement supplanté. Je n’avais jamais osé relire le Père Goriot depuis mes seize ans. Sans doute ai-je craint d’abîmer le souvenir, de détrôner le maître initiateur à l’origine de mon goût pour la littérature, car c’est bien Balzac le premier que j’ai admiré. J’ignore si je l’aurais relu un jour si des circonstances ne m’y avaient pas obligée. Je ne pense pas. Non pas qu’à présent je veuille encore garder mes illusions, mais plutôt que je n’y voyais pas l’intérêt. Je savais que je serais déçue et que j’y perdrais mon temps. J’avais conservé suffisamment de souvenirs pour pouvoir en être certaine. 

Je ne serai pas exhaustive et ne proposerai pas une critique conventionnelle de cette œuvre. Il doit y en avoir des milliers consultables en ligne, et autant de résumés et d’analyses du style balzacien. 

Le Père Goriot est probablement l’un des romans les plus représentatifs de Balzac. Tout y est, le bon comme le mauvais. D’ailleurs, qui veut caricaturer Balzac ironisera sur la circonférence d’une cheville où une longueur de jambes. Il me semble bien que c’est ce roman qui lui a fait cette réputation, qu’il a certes entretenue ensuite. J’ai toujours défendu Balzac sur ce point. Les longues et précises descriptions permettent au lecteur une parfaite immersion dans l’environnement qu’il s’apprête à narrer. Cependant, et bien que parfaitement écrites elles sont tout de même assez impatientantes. Néanmoins, elle ne sont pas inutiles. L’idée que la pension et la propriétaire se ressemblent est drôle et fine. Et puis, elles sont probablement une leçon de style et d’exactitude d’écriture. 

Concernant les personnages, Balzac les exploite encore et encore, les use même jusqu’à la moelle. Rastignac évidemment, le jeune homme ambitieux désireux de dévorer Paris grâce aux femmes, et qui y parviendra, épousant finalement, bien plus tard, la fille de sa maîtresse dans un autre roman. Rastignac le naïf apprend l’immoralité, les faux-semblants, les lois tacites d’une société où tout n’est que figuration et apparences, et dans laquelle il faut avancer masqué. Et puis Vautrin, l’amoral anti conventionnel, homosexuel sans doute, et sorte de brigand clairvoyant et lucide sur le monde qui l’entoure. Vautrin est le diable tentateur, à la fois mystérieux et fascinant. Goriot, le père, comme Balzac aime à en décrire. Je me souviens également du Père de Eugénie Grandet, autre figure paternelle à l’opposé de Goriot, avare jusqu’à nuire à sa fille. Et de tant d’autres pères dont Balzac raffole. Vautrin aussi voudrait d’ailleurs être un « père » pour Rastignac, d’une certaine manière. 

Toutes les classes sociales sont représentées en un même roman. Du domestique de la pension, en passant par les petits bourgeois qui y sont logés, les étudiants sans le sou, l’aristocrate provincial pauvre qui monte à Paris pour faire son droit, la propriétaire veuve et avare de la pension, et puis l’ancien commerçant, le financier,  la haute bourgeoisie et enfin la grande aristocratie du faubourg Saint-Germain. Le Père Goriot semble un condensé, une concentration de tout ce que la comédie humaine décrira plus tard à la loupe. Et chacun est méticuleusement décrit, analysé, dans ses forces comme dans ses bassesses les plus ignobles. Plus que les autres catégories, Balzac frappe fort sur cette aristocratie de la Restauration, qui possède « les vices de sa condition sans en avoir les vertus ». Mais qui ignore que, paradoxalement, le royaliste qu’il était ne rêvait que d’y être admis en vain ? Allant même jusqu’à orner son nom d’une particule. 

N’importe, Balzac décrit Paris en naturaliste, une ville tout entière corrompue, cupide, opportuniste et fausse. 

Faut-il parler de Goriot, qui n’est finalement pas le personnage principal du roman mais une sorte de prétexte à décrire cette aristocratie qui pervertit tout, jusqu’à l’amour filial ? Sinon pour montrer comme le désir d’ascension sociale pour ses filles pouvait alors ruiner un père a l’époque ? Évidemment, Goriot est le père excessif, obstiné dans un amour presque mystique, et, j’ose le suggérer, quasiment incestueux. Cette obsession pour ses filles va jusqu’au ridicule, tant qu’on a du mal à compatir. 

Des erreurs, des anachronismes historiques sont sans cesse relevés par l’éditeur, faisant l’objet de notes de bas de page à rallonge, et j’ignore si j’ai été  plus importunée par ces notes incessantes ou par la fait que Balzac se soit tant trompé. Les deux, sans doute. C’est tout de même, à la longue, un sacré manque de rigueur. Des citations aussi sont prêtées à tort à des auteurs, preuve qu’il écrivait « de mémoire », sans vérifier ses sources. J’ai d’ailleurs souvent eu l’occasion de relever des incohérences dans sa Comédie Humaine même. Alors, évidemment, comment s’y retrouver parfaitement avec deux-milles personnages ? Mais enfin, personne ne l’a forcé à en créer autant. 

Attention, Le Père Goriot reste une œuvre comme on n’en fait plus, ou rarement. Balzac a ouvert la voie du réalisme, de l’exactitude. C’est un précurseur. Il a probablement influencé Maupassant - je pense notamment aux similitudes entre Rastignac et Georges Duroy - et surtout Zola. Son œuvre est titanesque, monumentale, impressionnante en nombre comme en qualité. 

Cependant, j’ai tant lu depuis la découverte de ce roman qu’il est à présent largement supplanté, même par des réalistes. Mais n’est-ce pas le but sublime d’un romancier, de dépasser le maître ou le précurseur, d’aller au-delà de ce qu’il a admiré ? Balzac aura permis cela et ouvert la voie de l’excellence romanesque.

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Commentaires
G
je suis tombé par hasard sur cette réflexion à propos du père Goriot...qui m'a passionné ! et comme bien souvent les commentaires sont très riches ; je connais aussi cela au point que, parfois, je réédite un article en y intégrant de tels commentaires... bravo !
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J
Bonjour Val et -D., mieux, voici le recueil de poésie "Liberté grande" de Julien Gracq (texte intégral) :<br /> <br /> http://chansongrise.canalblog.com/archives/2020/12/09/38697646.html
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J
Allô...oui...bonjour -D...ah, vous connaissez Julien Gracq...on se sent moins seul, merci beaucoup !<br /> <br /> <br /> <br /> Dans le même recueil, j'aime assez "Truro" aussi, que je me permets de citer ici intégralement et sans autorisation - Val sera peut-être d'accord... :<br /> <br /> <br /> <br /> (Soit dit entre nous et à voix basse, on peut se demander si Truro ne serait pas une de ces mystérieuses villes côtières du Farghestan...).<br /> <br /> <br /> <br /> Julien Gracq<br /> <br /> Truro<br /> <br /> <br /> <br /> Les flèches de la cathédrale de Truro sont maintenant deux cônes de maçonnerie compacte, et l'aspect des façades a beau demeurer le même, l'espace est étrangement mesuré aux pièces habitées par l'épaississement anormal des murs; quant à la population — le sourire mesquin et tordu de quelqu'un à qui on a marché sur le pied — on dirait d'un bernard-l'ermite expulsé par une intumescence interne de sa coquille. Truro souffre encore sans se plaindre.<br /> <br /> D'année en année, la croissance de l'aubier minéral rétrécit vers l'intérieur des pièces l'espace disponible; en même temps la lutte sournoise du génie végétal contre les angles vifs s'observe à plein : déjà nombre de salles à manger sont en rotonde, et j'ai souvent, invité dans la haute société de la ville, l'impression anachronique de prendre le thé dans un donjon.<br /> <br /> Les meubles qu'on n'a pas eu la précaution de mouvoir sont scellés aux murs par le progrès de la gangue vitreuse, assez comparable par son aspect ganglionnaire à ces plaques muqueuses qui, de jour en jour, par les hivers froids, bourgeonnent sur l'ardoise des urinoirs.<br /> <br /> La minéralisation gagne particulièrement vite les draperies : l'aspect est resté encore souple que la main fait crouler les franges des rideaux en une friable poussière de craie.<br /> <br /> On a beau éloigner sa couche des murailles et cacher son appréhension sous le prétexte de la mode ancienne des lits de milieu, il arrive parfois que le visiteur au petit matin tâte du doigt un drap déjà rigide, ou crève d'un orteil impatient une insidieuse pellicule de marbre, comme un poisson troue d'un coup de queue la jeune glace des mers du Sud. Le phénomène des stalactites ne s'observe guère que par les saisons pluvieuses, dans les parages du Faubourg Maritime. Ce n'est pas qu'il y ait à proprement parler danger, encore qu'on cite déjà des phénomènes subaigus et des cas d'occlusion accélérée des issues de secours, et cependant — quoique, je le reconnais, sans raisons vraiment péremptoires — je me permets de déconseiller dorénavant le séjour de Truro, car dans de telles pièces, comme dit le poète, on ne loge pas seulement son corps, mais aussi son imagination.
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V
Je ne le connais pas. J’irai voir, alors.
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J
Bonjour Val, belle analyse, qui me pousse aussi à relire Le Père Goriot.<br /> <br /> Je me souviens en effet de cette longue description de la pension de famille, et comment Balzac la rapprochait de la propriétaire.<br /> <br /> J'ai pas lu tout Balzac, mais j'en ai beaucoup lu. <br /> <br /> Le cousin Pons, que j'ai lu en dernier, m'a beaucoup frappé par la cruauté, la méchanceté, et l'exploitation de la naïveté qu'il y déploie. Un peu comme dans le Père Goriot d'ailleurs.<br /> <br /> La description de la boutique de l'antiquaire dans La peau de chagrin vaut aussi son pesant de cacahuètes, je l'ai lue plusieurs fois sans me lasser.<br /> <br /> Un de nos géants !
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