Comment ?
Comment vous êtes-vous rencontrés, tous les deux ?
Voilà le genre de question que j’aime bien poser aux couples, quand je les connaît bien. Je ne suis pas la seule. Je l’ai remarqué pendant les fêtes. A l’heure du café, pour digérer le lourd repas du midi, une boite de chocolats en milieu de table, cette question fusait.
Ce qu’on préfère, moi, et quelques autres (que des filles !), c’est les réponses des plus anciens. Elles sont pas toujours des plus poétiques, mais bourrées d’agréables souvenirs, d’anecdotes savoureuses, de confidences amusantes. Elle rassasient souvent nos envies de récits romantiques. Je reposerais bien la question à chaque fois…
Les couples, amusés, s’y sont prêtés. Ça a duré un bon moment, et c’était bien plus ludique que des parties de cartes ou d’échecs.
Mon intérêt pour la chose a attiré les regards sur moi. Je n’étais pourtant pas la seule, si captivée…
Bon, alors, mon intérêt pour la chose, ajouté au fait que nous serons les prochains mariés, a amené les convives à se concentrer sur notre cas.
Comment s’est-on rencontrés ? On ne le sait plus. Ni l’un ni l’autre se souvient de notre première rencontre. C’est mal barré !
Etonnement de l’auditoire (sauf de ceux qui savent, et donc, qui comprennent aisément pourquoi).
Pour les autres, on explique.
Ben.. en fait… comment dire ? Si ! En fait, c’est parce qu’on se connaît depuis très longtemps… Enfin, c’est parce qu’en fait… comment dire ? On se connaissait bien avant…
C’est pas clair ! Tant pis !
Bon, ben, c’est pas grave. On fait comme si, et on explique plutôt comment on est tombés amoureux.
Les gens veulent savoir (fallait pas être si curieuse envers eux, Val !). D’autres que nous, qui savent la réponse, s’y collent. On les écoute comme s’il n’était pas question de nous, curieux de savoir ce qu’ils vont dire.
Finalement, c’est très simple. J’étais (je suis encore) la meilleure amie de sa cousine, à chéri. J’étais aussi la camarade de classe de sa sœur siamoise. En fait, je connaissais bien la famille déjà avant d’y entrer. En fait, je connaissais Manu avant… enfin quand… vous savez.
Ils osent pas dire. Les autres ont compris.
Ben, allez, dite-le, c’est pas grave… Je connaissais Manu quand il vivait avec Christelle ! C’est dit !
Ils ont vu que c’était pas grave, alors ils ont joué. Tant pis pour moi, c’est de bonne guerre.
Je les écoutais m’imaginer, il y a huit ans, avoir déjà des plus que vues sur lui, et attendre sagement dans mon coin, priant pour que son couple éclate.
Pas vrai du tout, mais je les ai laissés plaisanter.
Le soir, j’y ai repensé, tout de même… Non, vraiment, quand il était avec Christelle, je n’y pensais pas du tout. Par contre, maintenant, j’y pense… Je pense à elle, a lui, à leur couple, et je m’interroge (je m’interroge beaucoup -et surtout- sur ce qui ne sert strictement à rien, c’est comme ça).
Je les imagine, parfois. En vrai, c’est lui que j’imagine. Lui avec elle. J’ai pas vraiment de souvenirs précis sur ce qu’était leur couple. Oubliés, enfuis, désintégrés par mon inconscient. J’ai pas ça en mémoire, alors j’en invente de faux, pour rien, juste comme ça, pour me faire du mal (si, un peu !).
Je dois être sacrément maso. Je me demande comment il était, avec elle. Pareil, ou différent ? Aimant, passionné, gentil, doux, affectueux ? Plus qu’avec moi ? autant ? Un peu moins ?
Est ce qu’il allait lui chercher des croissants le dimanche matin ? Est-ce qu’il l’embrassait en rentrant du travail ? Est-ce qu’elle lisait dans ses bras ? Est-ce qu’il lui offrait des cadeaux ? Avait-il la même expression quand il la regardait ? Est-ce qu’ils riaient autant que nous ? Est-ce qu’ils faisaient des projets ? Et dans leur lit ? Il était comment ?
N’empêche, il n’a pas caressé son ventre rond. N’empêche, il ne l’a pas demandé en mariage. N’empêche, ils n’ont pas acheté de maison ensemble…
Vous en êtes sûrs, maintenant ! Je suis maso. Ça sert à rien. C’est du passé. Il est un peu plus âgé que moi. Il a eu une vie de couple avant. Et moi je suis timbrée. On est d’accord.
N’empêche, que si j’avais une machine à remonter le temps, et une autre pour devenir souris, j’irai me faufiler dans leur appartement, à tous les deux, juste histoire de savoir… juste pour me faire un peu de mal, juste pour la curiosité.
C’est du passé, qui s’éloigne de plus en plus chaque année, et à chaque concrétisation de l’un de nos projets. Imaginez un peu, s’il me trompait, à quoi j’occuperai mon temps… à l’imaginer ! Tout à fait !
Un peu fourbe, je me suis séparée de chaque chose qu’elle ait pu toucher (des meubles, surtout, qu’il a gardé après un équitable partage). Vendus, donnés, changés, échangés, à chaque déménagement, à chaque changement de décoration, à chaque naissance …
Je me suis séparée de tout ça, avec son regard approbateur. Et pourtant, parfois, c’est à lui, a travers elle, que je pense. Je l’imagine, juste comme ça, et finalement, c’est même pas douloureux (il n’y aurait pas de raisons que ça le soit).
Et comme j’aime bien que les photos n’aient aucun rapport avec mes billets, je vous mets ce que le facteur m’a apporté.