Amertume
Je n’aime pas les mets trop amers. C’est ainsi. « Arggg », ça fait, dans la bouche ! Pourtant, parfois, je cultive l’amertume. Dans mon jardin. Non, je ne récolte pas d’orange amères. Par contre, j’entretiens, à l’occasion, une bonne rangée de petites rancœurs bien alignées.
Je sais, c’est pas joli. C’est que de la mauvaise herbe ! D’ailleurs, ça me donne des aigreurs d’estomac (ou de cœur). J’ai un gout désagréable et très acide en bouche. Ça me file des nausées. Pourtant, je n’arrive pas à me séparer de mes plants bien longtemps. Par manque de soin, ils défraichissent et je les laisse périr. Malheureusement, je reçois parfois de nouvelles graines, ou j’en invente, c’est selon.
Elle viennent s’ ajouter aux plans desséchés, et le « miracle » se produit. L’arrivée de nouvelles semences d’amertume réanime les pieds anciens. Et mon jardin se fait fertile. Amertume… amertumes !
Oh, je cultive également la bienveillance, la gentillesse, la sagesse (un peu), mais les plants de ressentiment ont besoin de beaucoup de place, et empiètent sur les autres, plus vulnérables. C’est comme ça. Il faudrait certainement que je les arrache comme de la mauvaise herbe (Et Dieu sait qu’ils en sont !), mais ce travail relève de vertus que je n’ai pas. Je n’ai même pas la volonté d’entamer ce genre d’effort dont je me crois bien incapable.
Et puis, j’avoue ! J’aime cultiver cette amertume ! J’aime l’entretenir et la faire vivre. J’aime qu’elle s’épanouisse. Ça me fait du bien…
J’ai pas envie de la délaisser. C’est irrecevable. Selon moi, elle ne mérite pas d’être négligée. C’est une plante qui a le droit de s’épanouir comme toutes les autres, l’amertume, n’est ce pas ? Je devrais certainement avoir ce détachement par rapport à elle, mais je n’y arrive pas. Elle me parle, cette plante ! Elle me fait sans doute plus de mal que de bien, car sa culture est source de peine, mais je la cultive…
En général, je la cultive plutôt en secret. Seulement, c’est pesant, parfois. Alors, il est bon d’en parler avec des amies qui la cultivent aussi (et elles sont nombreuses, croyez-moi !). Manu savait que j’entretenais quelques plans épars, en douce. Lui même , il a les mêmes, probablement. Seulement, il a moins de temps pour les faire fructifier. Il y est sans doute également moins sensible. Ou alors, il a commencé ce travail (si sage) d’indifférence. Je ne sais pas.
Toujours est-il qu’il est tombé des nues quand je lui ai récité ma leçon d’amertume. J’en connais par cœur les moindre détails. Faut dire que je répète en douce, souvent, aussi…
Tu veux des dates, Chéri ? Mai 2003 ? Juillet 2003 ? Le 6 septembre 2006 ? Le premier samedi d’octobre 2006 ? Je n’ai rien oublié. J’ai un dossier spécial « amertume », dans mon disque dur interne. C’est comme ça…
« Oublie », il me dit. Alors que lui n’oublie pas, je le sais. Seulement, il prend les choses bien moins à cœur.
Je devrais en rendre un peu, d’amertume. Je ne sais pas faire. Je ne sais que la garder. Tant pis…
Les ripostes, c’est pas pour moi non plus. Moi, je me contente de ruminer mes plants d’amertume en silence, comme un gentil mouton. J’aime pas ça. Ils me donne des aigreurs d’estomac (ou de cœur). Ils me laissent un gout désagréable et très acide en bouche. Ça me file la nausée. Et pourtant, je continue à les ruminer…
Je ne sais pas si j'ai envie de partir quelques jours en mai. Je préfère parfois ne pas laisser me plants d'amertume, et les retrouver crevés au retour... Ce serait trop dommage, de s'être donné autant de mal à les faire pousser pour les laisser mourir...