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Val ...
24 mars 2019

La niaque

Je devais juger mais j’ai été remplacée. Fatiguée. Je viens regarder tout de même. Ne pas manquer cela. Ne pas. Ne surtout pas.

Premier passage. Dans sa catégorie. Numéro 5. Je l’observe. Six minutes de tension interne. Ne rien rater. Tu sais faire. C’est ta spécialité, petite, alors sois bonne. Tu le fais depuis que t’as huit ans. Facile pour toi. 

Je la suis du regard. Elle est concentrée. Elle ne voit rien. Ni moi, ni le public. Elle regarde droit devant elle. Élégance. Dos droit. Gestes précis. Gracieuse. Maitrise. 

Je suis attentive à chaque obstacle. Je souris à son arrivée. Un sans faute. Sûre de ça. Ça se jouera au chrono. 

Une heure plus tard, enfin, son deuxième passage. Autre catégorie. Première fois pour elle. Dossard numéro 23. Je regarde la carrière de détente. Emplie d’adultes montant de grands chevaux. Des monstres de hauteur, presque. J’ai un doute. Et j’ai peur. Elle est si petite. Diego est si petit. J’ai vaguement vu le parcours. Effrayant. Se feront dévorer tout crus, la petite et le petit cheval. 

Elle part. Beau passage de haie. Immobilité parfaitement réussie. Le fossé est une formalité. Grande montée au galop. Élégante, concentrée. Un peu moins précise: elle stresse. Ses mains tremblent au montoir. Je le vois de ma place. N’importe : pas de faute. Le recul: parfait! Passage de gai ? Un jeu d’enfant. La barrière ouverte et fermée avec grâce. 

Mais voilà qu’arrivent les deux obstacles redoutés. Un grand contre bas: elle saute. A l’aise! 

Et ce tronc! Ce gros tronc! Je tremble. Je retiens ma respiration. Mon cœur tape fort. Peu m’importe à ce moment là qu’elle soit bonne ou non. Je crains à sa vie. Un tronc n’est pas une barre qui va tomber sur un échec. Sauter un tronc et se rater, c’est l’hosto. C’est le cheval qui tombe. C’est la catastrophe. Elle prend de l’élan. Ils arrivent au tronc au grand galop. Elle est en équilibre déjà. Le regard droit devant elle. Je suis la seule peut-être à voir ses jambes trembler. Elle ne l’a sauté qu’une fois, et ce matin seulement. 

Ça passe! Magnifiquement. De manière presque gracile. Comme une facilité. Qui pourrait croire qu’elle redoutait ce saut de tronc depuis des jours? 

J’entends des spectateurs derrière moi:

« Regarde la jeune fille, avec le petit cheval! ».

Je ne dis rien. Je souris. 

Dernier obstacle : saut de tronc en mains. Elle descends de cheval tremblante. Troublée. Elle rate. Oublit qu’elle a trois chance et quitte le terrain sur cet échec. 

Ses jambes flageolent tandis qu’elle regagne les écuries, rênes en mains. 

Je la connais. N’importe cet incident. Elle a sauté ce tronc encore! Elle a réussi. Elle en tremble encore. 

Ce matin, elle a pleuré à réception. Larmes de reste de peur après la trouille énorme. Larmes de joie de l’avoir fait. Elle l’a fait à l’entraînement. Elle l’a refait en concours. Elle a déjà gagné !

Résultats, plus tard. Je suis à la buvette en discussion cordiale. Un ami vient me chercher. Il insiste pour que je m’approche pour la remise des prix. Avec mon téléphone pour les photos. 

Je comprends que son premier passage la classe. 

Première. Évidemment. Sur Quatorze. C’est si facile, dans sa catégorie. Presque de la triche. Et pourtant, une seule plus jeune qu’elle. Les autres? Des adultes ou presque. 

Deuxième catégorie. Je me fais peu d’illusions. C’était la seule de son âge. Elle, et que des adultes. L’important pour elle était de sauter ce putain de tronc. L’important était de commencer à se mesurer un peu aux choses sérieuses. De voir à quoi ça ressemble, la cour des grands. 

Surprise d’entendre son nom. Podium! Troisième sur treize (douze adultes!). Applaudissements. J’entends à nouveau : « C’est la gamine avec son petit cheval! ».

J’ai envie de pleurer. De fierté.

 Elle l’a fait!

 

 

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Commentaires
C
Joli récit, miss !<br /> <br /> J'aime beaucoup l'intercalement (ça se dit ça ?) des actions et des émotions.<br /> <br /> Cela rend la lecture vivante.<br /> <br /> Bisous célestes
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P
Tu racontes bien. Ca m'a replongée direct quelques années en arrière, et ces minutes de stress infini, mais aussi de joie et de soulagement à la fin. <br /> <br /> Félicitations à la cavalière.
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C
Tremblements de maman. C'est chouette, qu'elle réussisse, elle le gardera toujours ce moment-là.
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B
Joli moment bien raconté.<br /> <br /> <br /> <br /> Bleck
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C
Super, bien contente pour toi, et surtout pour ta fille, quelle belle réussite ! ;-) La niaque, effectivement... Je comprends et partage cette vision des choses, ne jamais renoncer et toujours donner le meilleur. Là est l'essentiel : ne pas se décevoir soi-même de n'avoir pas tout tenté dans le combat, même si la victoire semble hors de portée !
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