La grande autonomie
Il aura fallu une de ces belles crises de larmes, de celles qui surgissent, inopinées, incompréhensibles et sans motif réel. Celles-là, pourtant, sont les plus abyssales et agitatrices, tant elles bousculent et balayent tout. La crise a duré des heures et ne s’est arrêtée qu’à épuisement total de mes nerfs et de mes forces. Une purge totale et radicale. Qui a toujours une signification pour moi: faire le vide en soi pour se mieux reconstruire.
Mes larmes n’étaient pas du chagrin. Elles étaient ma liberté. Et elle coulait à flots, comme une délivrance après avoir fait céder un barrage. Rien ne peut plus arrêter le courant, lorsque le barrage a rompu.
Rompue, je l’étais aussi. Assommée de vide, et apaisée pourtant. Je m’étais ainsi retrouvée, entière, forte et autonome.
J’étais comme renouvelée et protégée dans un donjon. Inattaquable. Que dis-je? J’étais le donjon. L’abri imprenable, la citadelle haute, la muraille géante. J’étais devenue plus solide que ce pauvre barrage rompu.
Sans plus aucune larme à donner, j’étais redevenue moi. Puissante et indépendante. Émancipée de toute appartenance ou presque. Le Moi absolu, souverain, incontrôlable.
J’ai mesuré mes nouvelles capacités: un grand vertige. Le champs des possibles était immense, à présent. Infini. J’allai, enrichie de ma nouvelle force, dominer le monde. Qui m’en empêcherait? Les seules chaînes qui aliènent sont mentales. Les miennes venaient de céder.
J’avais pleuré pour moi. Pas pour ni à cause de quelqu’un. Pas contre moi non plus. Je n’avais pleuré que pour moi. Et c’était beau.
Désormais, je savais, comme une certitude nouvelle, ce qu’était l’autonomie et de quel matériau était faite la grande liberté.
Alors, dans une résolution presque solennelle, j’ai, ce jour-là, décidé que toutes mes larmes futures m’appartiendraient. Presque toutes, à deux exceptions près. Je pourrais encore en verser beaucoup pour mes enfants, et quelques-unes sur les chansons de Goldman. Seulement ça.
Le reste? Tout le reste glisserait sur moi comme l’eau glisse sur une joue rougie de chagrin. Et j’étais forte de ça.