Bouvard et Pécuchet, Gustave Flaubert
Je n’ai jamais aimé « Madame Bovary ». Je l’ai lu deux fois pourtant. Je n’ai rien lu d’autre de Flaubert, cette expérience m’ayant refroidie pour des années. Et puis, j’ai voulu vérifier, par la lecture d’une autre œuvre, et revoir mon avis sur Flaubert. J’ai acheté « Bouvard et Pécuchet » au hasard. Je ne voulais surtout pas demander de conseils: on m’aurait logiquement indiqué le meilleur, et ce n’est pas ainsi que je souhaitais procéder. J’avais peut-être ce désir de me conforter dans ma première opinion sur Flaubert. N’importe !
Bouvard et Pécuchet sont deux employés qui se rencontrent par hasard, sur un banc. Ils ont le même âge, exercent la même profession, ont les mêmes opinions et sont tous deux célibataires.
Bientôt, ils ne se quittent plus.
Et quand Bouvard hérite, ils quittent tous deux la ville afin de s’installer ensemble à la campagne. Et une idée leur vient: cultiver la terre. Pour cela, ils lisent des manuels sur l’agriculture et essuient un échec. La culture des légumes puis des fleurs ne rencontrent pas plus de succès. Ils deviennent la risée de leurs domestiques, sont moqués par leurs voisins.
Les deux « héros » sont deux cons, qui passent de discipline en discipline, d’ouvrage en ouvrage, mais qui ne semblent jamais rien apprendre pour autant ni tirer de leçons de leurs erreurs.
Après les travaux de la terre, c’est alors la chimie, puis la médecine, l’astronomie, la philosophie, l’archéologie et toutes sortes de disciplines qu’il étudient. Et les lectures de traités s’enchaînent, parfois se contredisant. N’importe : ils s’obstinent. Un temps seulement. Allant jusqu’à pratiquer la médecine avec un seul livre pour les aider aux diagnostics.
Et, un matin, soudain, la discipline les lasse, ils l’abandonnent et choisissent aussitôt un autre sujet d’étude. Ainsi, ils se croient successivement agriculteurs, médecins, ingénieurs, dramaturges, historiens, archéologues, médiums ... à seulement lire des ouvrages plus ou moins vulgarisés, et plus ou moins complets.
Ces deux idiots ratent même leurs suicides et y préfèrent la fervente foi, avec la volonté de devenir dévots, comme ils avaient déclaré un matin qu’ils souhaitaient devenir médecins.
Ils apprennent non comme une volonté ou une résolution, mais comme des caprices, à peine explicables. Seulement, chaque apprentissage est fait sans le moindre discernement. La quête sans but n’est pas même motivée par l’envie de s’élever, ni encore pour le plaisir qu’ils pourraient en tirer. Mais par ... rien. L’absurdité même. Ou la peur de l’ennui.
Par ailleurs, quelque chose m’a frappée dans ce conte. Les deux hommes vivent ensemble, et presque sans femmes. Une seule fois, ils traitent l’amour comme l’une de leurs disciplines, s’y essayent et s’en rependent bien vite, après une unique expérience ratée. Et j’ai songé logiquement que toutes ces quêtes vaines et non abouties, irréfléchies et stupides, n’étaient peut-être que compensations à la chasteté. Comme si leurs désirs étaient dénaturés, comme une quête de jouissance par d’autres biais que le corps et les femmes.
Alors... c’est une sorte de conte plutôt qu’un roman. Il n’y a pas d’intrigue réelle, pas de profondeur dans les personnages. J’ai tout de même longuement hésité sur la question. La longueur, sans doute, fait songer au roman.
L’écriture est concise. C’est bien écrit, pourtant. L’idée est effectivement pertinente. Ces caricatures ont quelque chose de savoureux et de drôle.
J’ai lu que Henry Miller aurait aimé l’écrire... et je me demande encore pourquoi, je dois le reconnaître. De même, Maupassant a applaudi cette œuvre.
Alors, c’est probablement moi qui...
N’importe ! Devrais-je en dire du bien parce qu’il est convenu que c’est un Grand livre?
Comme tous les contes philosophiques, évidemment le message est intéressant. Pourtant, il y a des longueurs qui m’ont semblé impatientantes. Des accumulations pénibles, même si, je l’ai compris, c’est voulu. Une sorte de ... comique de répétition, mais qui m’a paru, à la longue, bien impatientant et j’ai eu envie, à plusieurs reprise, de dire: « c’est bon, on a compris le principe ».
Et, au fond, nous avons tous quelque chose de Bouvard et Pécuchet, à moindre échelle. Moi la première, je me suis essayée à la cuisine, à la pâtisserie, à diverses disciplines secondaires « pour voir », en glanant des conseils à droite, à gauche, en lisant des manuels, voire en prenant... des cours de couture! Et j’y ai à chaque fois renoncé bien vite. Ces choses n’étant pas pour moi. J’y ai perdu de l’intérêt très rapidement.
Je ne peux pas affirmer que j’ai détesté ce livre. Il pointe du doigt de manière pertinente et drôle l’imbécilité, la propension à se croire intelligent parce que riche d’un savoir, le manque de discernement, et cette idée qu’en étudiant tout en dilettante, on ne sait, au fond, à peu près rien.
Cela m’amène aussi à réfléchir à ce que l’on nomme « la culture générale », qui, au fond, ne vaut rien si aucun esprit critique ni aucune intelligence ne sait traiter les informations recueillies et savoirs appris.
Bouvard et Pécuchet est un conte intelligent et insolent. Pour autant, voici mon avis: il ne mérite pas les éloges unanimes dont il bénéficie. À mon avis. Il ne m’a rien appris, disons. Non pas qu’il soit mauvais, mais il fait l’objet de tant de compliments élogieux que ça me parait un peu surfait.
Et cette critique m’amène à une réflexion concernant les auteurs et œuvres classiques. A-t-on le droit, la légitimité de les critiquer sévèrement ? Malgré leur supposé génie ?
Je crois que oui. Un auteur qui accepte d’être publié ne se donne pas à lire à une élite qui écrit, ni à ses pairs en nombre restreint et choisi. Il livre son texte à tous lecteurs.
Et cet argument qui laisse supposer qu’on ne peut juger si l’on est incapable d’écrire aussi bien est à balayer également.
Personnellement, je ne sais pas faire le pain, mais je sais tout de même choisir ma boulangerie. Je sais où la baguette est bonne et où elle est trop cuite ou pas fraîche.
Évidemment, je ne parle pas d’art, mais d’artisanat. Pour autant, la conclusion est la même: nul besoin de « savoir faire aussi bien » pour juger d’une œuvre.
L’expérience de lecture, je veux dire le fait d’être un lecteur attentif, exigeant, entrainé, pouvant comparer les œuvres lues, pouvant les classer en qualité, a le droit de prétendre que Flaubert (ou n’importe qui d’autre) l’a déçu.
Sinon, pourquoi lire? Il suffirait d’admettre comme tout le monde que c’est un génie de la littérature, que son œuvre est grande, et s’épargner la peine de la lire.
De plus, aimer (faire semblant d’aimer) une œuvre reconnue comme grande uniquement parce qu’elle est unanimement appréciée, c’est manquer cruellement d’individualité. C’est, au fond, ne plus avoir de jugement propre et se laisser influencer par l’opinion collective. Assumer le fait que je n’ai pas « tant » aimé (pas autant que je le « devrais »), et en donner les raisons argumentées, c’est prouver que j’ai jugé seule, et sans influence extérieure.
Qu’on me rétorque que je n’ai pas les compétences n’est pas un argument que je prends en compte. Vous même, vous jugez votre gouvernement sans avoir fait science Po, n’est-ce pas? Vous avez élu un médecin traitant. Vous jugez les films que vous regardez sans être réalisateur. Oui? Bon, alors moi je déclare que Flaubert n’est pas si brillant que l’unanimité le prétend. Point.
Néanmoins, je suis prête à un dernier effort. Peut-être deux. J’ai songé à une troisième lecture de « Madame Bovary », pour voir si mon évolution me permettrait de l’apprécier aujourd’hui.
J’ai également résolu d’ajouter à ma liste des livres à lire le Flaubert que vous me conseillerez. Le meilleur, si possible. Je voudrais tout de même comprendre pourquoi cet auteur ne parvient pas à m’atteindre « tout à fait » et surtout le subjuguer.
Extrait choisi :
« Les minéraux ne tardèrent pas à les fatiguer ; – et ils recoururent comme distraction, aux Harmonies de Bernardin de Saint-Pierre.
Harmonies végétales et terrestres, aériennes, aquatiques, humaines, fraternelles et même conjugales, tout y passa – sans omettre les invocations à Vénus, aux Zéphyrs et aux Amours ! Ils s’étonnaient que les poissons eussent des nageoires, les oiseaux des ailes, les semences une enveloppe – pleins de cette philosophie qui découvre dans la Nature des intentions vertueuses et la considère comme une espèce de saint Vincent de Paul, toujours occupé à répandre des bienfaits !
Ils admirèrent ensuite ses prodiges, les trombes, les volcans, les forêts vierges ; – et ils achetèrent l’ouvrage de M. Depping sur les Merveilles et beautés de la nature en France. Le Cantal en possède trois, l’Hérault cinq, la Bourgogne deux – pas davantage – , tandis que le Dauphiné compte à lui seul jusqu’à quinze merveilles ! Mais bientôt, on n’en trouvera plus ! Les grottes à stalactites se bouchent, les montagnes ardentes s’éteignent, les glacières naturelles s’échauffent ; – et les vieux arbres dans lesquels on disait la messe tombent sous la cognée des niveleurs, ou sont en train de mourir.
Puis leur curiosité se tourna vers les bêtes.
Ils rouvrirent leur Buffon et s’extasièrent devant les goûts bizarres de certains animaux.
Mais tous les livres ne valant pas une observation personnelle, ils entraient dans les cours, et demandaient aux laboureurs s’ils avaient vu des taureaux se joindre à des juments, les cochons rechercher les vaches, et les mâles des perdrix commettre entre eux des turpitudes. »
À venir:
« La fortune des Norsmith /2- L’hymne des géants », Henry War
« L’œuvre », Zola
« Laïcité et religion », Michel Onfray
« Nietzsche », Stefan Zweig
« Journal intégral », Julien Green
« Éloge du doute », Patrick Davido
« L’Heritage », Patrick Davido