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Val ...
19 mars 2020

J’accuse

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Je me souviens de ce film, « Le pianiste », oscarisé, que j’ai vu deux fois et que je trouve excellent. J’ai donc voulu voir au plus vite ce nouveau Polanski récompensé lui aussi. 

Vous avez tous dû entendre parler de ce film, et pour de bien mauvaises raisons. C’est que Polanski a reçu le César du meilleur réalisateur pour ce film. Si je me fiche généralement des Césars, j’ai voulu juger par moi-même, pour voir ce que valait ce film qui a fait tant de bruit. Car enfin la polémique fut si grande... N’importe ! 

Si le titre fait référence à Zola, c’est pourtant le roman « D. » de Robert Harris qui a été adapté. 

Le film, à caractère historique, commence sur le premier procès de Dreyfus. 

Cette affaire Dreyfus est traitée du point de vue du colonel Marie-Georges Picquart, qui va s’évertuer à découvrir la vérité sur l’affaire, bravant sa hiérarchie et  faisant fi de son obligation de secret, en dévoilant l’affaire à la presse et surtout à Émile Zola. 

Piquart a le sens de l’honneur. Ni les menaces, ni l’exil, ni les pressions exercées - sur sa vie privée, j’y reviendrai- , ni même la prison ne viendront à bout de sa soif de vérité et de son intégrité. 

Ainsi, il persiste, aidé entre autres de Zola, jusqu’à ce que la vérité éclate. 

Dreyfus est enfin réhabilité après des années de lutte. Et Piquart promu. 

Le film s’attarde tout particulièrement sur le procès de Zola, et notamment sur le climat l’hostilité des foules à son encontre. On sent poindre, dès la fin du dix-neuvième, la haine du peuple à l’encontre des juifs. On y voit également comme les droits de Zola ont pu être bafoués, de manière éhontée, durant ce procès. Zola est condamné à un an de prison, à la suite d’un procès injuste et à charge. Paradoxalement, c’est pourtant ce procès qui aidera à la réhabilitation de Dreyfus, l’affaire et ses nombreuses contradictions, ainsi que les dysfonctionnements durant l’enquête, ayant été largement relayés par le procès. 

En parallèle de  l’affaire Dreyfus, l’histoire d’amour adultère entre Piquart et Pauline Monnier, une femme mariée, est narrée en second plan. C’est de cette histoire d’amour illégitime et cachée dont l’armée se sert pour faire pression sur Piquart. Son appartement est fouillé, les lettres d’amour passionnées sont retrouvées et la relation est divulguée au mari, qui demande le divorce et empêche Pauline de revoir ses filles. 

J’ai aimé tout particulièrement la demande en mariage de Piquart à Pauline, à la fin du film. Sans doute contrit d’avoir tout fait perdre à sa maîtresse (honneur, famille, protection d’un mari), il la demande en mariage comme par devoir. Celle-ci refuse d’épouser le militaire. Elle a compris, après cette histoire, que ni lui ni elle n’étaient faits pour le mariage. Et je trouve sa réponse admirable : elle a tout perdu à cause de son obstination et ne lui demande pourtant rien. 

Cette histoire d’amour m’a également fait songer à cette idée, plutôt d’actualité d’ailleurs : comme l’histoire commune peut briser des vies intimes, des destins personnels, qui sont, bien sûr, si dérisoires par contraste mais qui ont un impact important dans le cours des destinées individuelles. Devenez lanceur d’alerte, et attendez-vous à lire les détails de votre sexualité ainsi que toute votre intimité dans la presse! N’importe si vous avez raison, vous serez moralement jugé ! 

J’ai aimé également la scène d’un duel à l’épée, époustouflante. 

Enfin, Dreyfus, avant d’être innocenté, accepte la grâce présidentielle. Piquart pourtant lui conseille de la refuser. Pour son honneur. L’accepter serait admettre sa culpabilité, selon Piquart. Dreyfus, emprisonné depuis cinq ans déjà, ne suit pas son conseil. Mais ce conseil montre comme Polanski a voulu un Piquart intègre et droit. 

J’ai lu ici et là l’idée que Polanski aurait parlé de lui dans ce film, en racontant l’histoire d’un homme juif jugé par la foule et reconnu coupable sans procès équitable et sans preuves. Effectivement, l’idée de bouc-émissaire juif est évidente. Cependant, je pense plutôt que le thème est cher à Polanski, « Le pianiste » étant aussi l’histoire d’un juif durant la guerre. 

Toujours est-il que la controverse est là. Et je ne chercherai pas, moi, à savoir si Polanski utilise ce film pour plaider sa propre cause. Je juge le film pour ce qu’il raconte d’explicite, voilà tout. Cela ne m’intéresse guère de savoir s’il a songé à sa propre histoire en l’écrivant et en le réalisant. 

Même cet éternel débat, « doit-on séparer l’homme de l’artiste? », au fond, est devenu superflu pour moi. Je laisse ce débat à ceux qui n’ont rien d’autre à faire que de juger les fautes morales d’un artiste faute d’être capables de juger une œuvre. C’est bien plus facile en effet: les critères sont universels, servis sur un plateau, entendus par tout le monde. Tandis que juger le travail d’un artiste demande un esprit avisé, un regard expert  et surtout un jugement personnel, en somme tout ce dont les gens ne sont plus capables. Ils préfèrent conchier d’une seule voix unanime. C’est plus facile. Cela évite d’être trop contredit, premièrement, mais également de réfléchir par soi-même et de se forger un avis propre. Enfin, cela doit être extrêmement rassurant et satisfaisant que de faire partie d’un groupe de gens qui pensent tous pareil. C’est dit! 

Cependant, il me vient quand même une bribe de réflexion au sujet de l’affaire Polanski. J’ai, moi, volé dans un supermarché quand j’étais au collège. Et à  de nombreuses reprises. 

Est-ce que aujourd’hui, alors que je n’ai jamais récidivé depuis vingt-cinq ans, on pourrait encore raisonnablement m’appeler « la voleuse » et me conspuer dans tout ce que je fais? 

N’importe ! Je laisse, car j’anticipe déjà votre indignation et vos objections. 

Ce film est bon. J’ignore s’il méritait le César, puisque je n’ai pas vu les autres. (Quoique, pour certains, la bande annonce suffit...). 

Évidemment, Piquart passe pour un héros, et il ne fait aucun doute que Polanski force le trait, le rend admirable et sans doute plus honnête et droit qu’il ne l’était. C’est romancé, comme la plupart des romans historiques. 

Néanmoins, ce film est excellent. Je n’en n’avais pas vu un de meilleur (scénario, décors, jeux d’acteurs, costumes) depuis des mois. Et je félicite et remercie très sincèrement le jury de Césars, qui a osé affirmer, s’il fallait encore le faire, que la cérémonie des Césars n’était pas une remise de prix pour la bonne moralité des artistes, mais bien pour leurs compétences, leur travail et leur talent.

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Commentaires
D
Bonjour Val, je suis contente de lire un billet comme celui-ci qui fait abstraction de la polémique sur le réalisateur. Le film a amplement mérité tous ses Césars. Il dominait le reste des films sélectionnés de la tête et des épaules et tant pis pour les jeunes femmes qui ont fait un esclandre. Bonne journée.
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E
ton article est épatant , en effet ce film est bon. Donc il est bon. s'il fallait brûler les oeuvres d'art qui ne sont pas créées par des vertueux, nos cimaises, bibliothèques, concerts etc... seraient bien vides. Nous ne sommes pas tout bien ou tout mal, mais des mosaïques, donc il est normal que la justice condamne l'homme et l'académie récompense le créateur
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A
Le souci n'est pas tant qu'on doive séparer l'homme de l'artiste, mais qu'un artiste, selon l'égalité établie des droits, devrait être jugé pareillement à tout homme - à tout violeur, pervers, ect. C'est à mon avis cette intouchabilité qui choque surtout, et non pas le soupçon que tout son film suinte forcément des relents d'un "porc".
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H
Un article un peu distancié encore, mais je suis un belliciste, visiblement, et je ne sais plus que la mêlée farouche. C'est-à-dire que d'un point de vue technique, ta critique reste assez générale, et d'un point de vue philosophique ton avis reste plutôt loin du champ polémique, du champ "de bataille".
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