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Val ...
20 août 2020

5 Nouvelles fantastiques (HP Lovecraft)

Je ne connaissais Lovecraft que de nom et de réputation. Je savais, sans ne jamais l’avoir lu, à quel genre de littérature m’attendre. Je ne me suis pas trompée. Je l’avais deviné sans le connaître. Je savais précisément qu’il s’agirait d’un genre tout à fait à part, d’univers sombres et inquiétants, mais, chose étrange, je jure être tout à fait incapable de me souvenir comment je l’ai su. 

Je ne peux supporter l’horreur. Je n’ai jamais pu regarder un bête film d’horreur sans ressentir une sorte de tension d’angoisse presque intenable. Je hais le suspense effrayant qui précède la mort d’un protagoniste. Le meurtre en lui-même ne me fait rien, c’est l’avant qui m’angoisse. L’attente d’un événement terrifiant, pourtant attendu, m’est une torture psychologique beaucoup moins supportable que la violence, ce qui amuse beaucoup mes aînés. Je suis « bon public » en ce qui concerne l’horreur psychologique. La vue du sang, d’entrailles, de têtes coupées me laisse de marbre, mais l’attente m’est insoutenable. Je tremble en même temps que l’acteur va se faire surprendre par une none ressuscitée ou une poupée possédée. Je vis la scène comme si c’était moi, et j’en suis physiquement atteinte et perturbée. Mon sang se glace, je ressens l’angoisse de manière viscérale, mes muscles se contractent et la tension nerveuse me donne des impatiences dans tous les membres. J’ai même le souvenir, plus jeune, d’avoir hésité à me lever la nuit de peur de trouver un spectre muni d’une hache ensanglantée derrière la porte de ma chambre. C’est irrationnel et pourtant mon esprit se refuse à l’admettre. Et cela m’effraie jusqu’au second degré : en ces moments, j’ai réellement craint pour ma santé mentale. Les visions d’anticipation de l’horreur me sont un calvaire et me poursuivent après le film. Voilà l’une des raisons pour lesquelles j’ai toujours évité ce genre en littérature.

Je l’ai longtemps dédaigné aussi comme l’on néglige ce que l’on considère, à tort peut-être, comme un genre mineur, une sorte sous-littérature, au même titre que la science-fiction ou le polar. C’est qu’il me semble que ce que l’on trouve dans ces catégories est généralement mauvais. 

Néanmoins, j’ai eu envie de découvrir Lovecraft. J’ai choisi ce recueil puisqu’il prétendait regrouper les « cinq nouvelles les plus connues » de l’auteur. J’ai songé que c’était là une bonne manière d’introduction. 

Les cinq nouvelles qui composent ce recueil sont de qualité et de longueurs inégales. J’ai été d’ailleurs très surprise de constater que l’auteur pouvait fort bien bâcler un texte ou plutôt l’alimenter d’inutilités et d’invraisemblances et livrer un chef-d’œuvre la fois suivante. Je n’aime guère ce génie en dent de scie. Lorsqu’un artiste est capable de rendre une perfection, je considère qu’il le peut à chaque fois. S’il ne le fait pas c’est qu’il expédie volontairement ou par paresse, ce qui me déçoit fort. 

La première nouvelle est très engageante. Plutôt longue et très réussie, elle donne une bonne impression et l’envie de poursuivre la lecture. L’appel de Cthulhu regroupe un ensemble de documents trouvés par Francis Wayland Thurston dans une étrange caisse, laissée en héritage par le défunt Angell, son grand-oncle. Anthropologue, Thurston est intrigué par ces coupures de presse, ces courriers et cette tablette d’argile tous regroupés en une sorte de dossier nommé « le culte de Cthulhu ». Il réalise bientôt qu’il s’agit du travail de recherche de toute une vie, réalisé par son grand-oncle, qui aura voué sa vie à l’enquête sur CthulhuCurieux et passionné, l’anthropologue va poursuivre cette quête en regroupant documents et témoignages. Avide de vérité et désireux de percer le mystère et de reconstituer toute l’affaire, l’homme ira jusqu’au bout. Sa quête le conduira en des lieux terribles, et ce qu’il trouvera fera froid dans le dos. La narration est originale et parfaitement menée. L’auteur retranscrit chaque document, lettre et article de presse, ce qui apporte au récit une impression de réalité supplémentaire. Loin d’être la meilleure nouvelle du recueil, elle est très bien construite. L’horreur, quant à elle, est décrite avec une telle violence qu’elle saisit littéralement. Le style de Lovecraft, précis, incisif, extrêmement riche en tournures et vocabulaire est un chef-d’œuvre en lui-même. L’intrigue, enrichie par ces retranscriptions de documents à la façon d’un rapport occulte, est captivante et saisissante. 

La nouvelle suivante est, contrairement à la première, fort impatiente. Aussi longue qu’un roman et en cinq parties, La Quête onirique de Kadarh l’inconnue énumère fort longuement les péripéties rencontrées par Carter lors de sa recherche de la cité de kadath, qu’il a vue en songes. Randolph Carter, personnage récurrent qui apparaît dans trois nouvelles, rêve, voilà tout. Il sort du monde de l’éveil pour rejoindre le monde du rêve, y fait d’étranges rencontres, souvent menaçantes, descend les 700 marches des cavernes de la flamme, voit des prêtres qui l’avertissent du grand danger qu’il encourt mais continue quand même. Il veut se rendre à Kadath coûte que coûte pour implorer les dieux en personne. Il serait le premier à voir kadath. Il ne sait même pas comment s’y rendre. Heureusement, ses amis les chats et les goules viendront de nombreuses fois à son secours. Vous n’y comprenez rien ou bien vous trouvez que mon résumé manque de logique ? Eh bien moi aussi ! Le fantastique ne doit pas être une succession de n’importe quoi. Ce monde du rêve est si complexe que l’on ne sait pas au juste si l’auteur se moque de son lecteur, s’il écrit pour lui seul ou pour quelques initiés à son monde imaginaire. Par ailleurs, le prétexte du rêve est une facilité. Puisque le personnage rêve, peu importe la plausibilité ou une suite logique. J’ai lu quelque part que certains amateurs de Lovecraft considéraient ce texte comme son œuvre majeure et j’en suis fort étonnée. Le fantastique est pour moi un genre qui mêle réalité et irrationnel, c’est ce qui rend le récit hautement angoissant. La plausibilité permet de s’identifier, de sorte que le lecteur peut se figurer que cela pourrait lui arriver. Le rêve en revanche est une triche qui permet à l’auteur de ne pas s’encombrer d’un effet de réalité. Cela empêche également le lecteur de ressentir tout danger, de s’imprégner du sordide et de l’horreur. Puisque le personnage rêve, on reste bien à l’abris, spectateurs incrédules et hallucinés de son rêve. Et l’on est bien obligés de subir le rêve jusqu’à la fin. Et c’est très long ! 

L'Affaire Charles Dexter Ward est ma préférée des cinq. Ce récit est une très longue nouvelle, qui peut être également un court roman. Charles Dexter Ward, âgé d’une vingtaine d’années, devient soudain fou après avoir enquêté sur l’un de ses ancêtres. Ce qui n’est au départ qu’une simple enquête généalogique glisse vers une forme d’étude obsessionnelle et puis vire enfin en quête satanique. Comme pour la première nouvelle, l’auteur intègre au récit des lettres, notes et témoignages anciens et actuels. C’est vivant, dynamique, effrayant car très plausible. Lovecraft a su, dans cette nouvelle, faire monter l’horreur et le suspense par paliers, jusqu’à l’épouvante finale, le grandiose, le sordide à son paroxysme. 

Le Cauchemar d'Innsmouth raconte l’histoire de Robert Olmstead, également narrateur. Cet amateur de civilisations anciennes entreprend un voyage afin d’en apprendre plus sur ses origines. C’est presque par hasard qu’il découvre l’existence d’une ligne de bus passant par une mystérieuse et lugubre ville que tout le monde fuit et craint: Innsmouth. Étrangement curieux du dégoût qu’inspire la ville maudite aux habitants des villages voisins, il s’y rend. Il y rencontre des habitants peu obligeants et à la morphologie étrange, quasi batracienne. Par ailleurs, la ville est imprégnée d’une forte odeur de poisson. Le jeune homme est tiraillé entre un certain dégoût lui aussi pour cette ville et une sorte d’admiration et d’attirance étrange pour elle. Obstiné et curieux, il mène l’enquête et découvre l’horreur. Apeuré, il va tenter de  s'échapper d'Innsmouth, sans se douter de l'horrible vérité qu'il va découvrir plus tard sur ses propres origines. Cette nouvelle, tout comme la précédente, respecte tout à fait la nouvelle traditionnelle, avec une chute inattendue et vertigineuse. Pour le coup, la conclusion est magistrale et fort habile. Tout comme l’est ce récit, mêlant l’horreur et une sorte d’oppression en cette ville où le narrateur se retrouve presque à huis clos avec le sordide et l’horreur hallucinée. C’est excellent. 

Enfin, Le Témoignage de Randolph Carter est un récit fort court. Retrouvé inanimé et en état de choc, ce dernier, interrogé par la police, prétend ignorer ce qu’il est advenu de son ami Harley Warren, introuvable depuis leur expédition nocturne dans un vieux cimetière. Il ne sait pas. Il a seulement attendu Warren tandis que celui-ci descendait seul dans la crypte. S’en sont suivis des hurlements d’horreurs, de ceux qui glacent le sang et assurent à celui qui les entend une épouvante insoutenable. Cette nouvelle extrêmement courte est à la fois mystérieuse et excellente. Elle laisse le lecteur, tout comme les enquêteurs, sur une faim terrible. L’horreur à son paroxysme ne se décrit pas et ne se comprend pas. Elle s’eprouve seulement. En un cri effroyable, dans un cimetière inondé de nuit effrayante. Superbe et terriblement efficace ! 

On retrouve des points communs, sans doute propres à l’auteur, dans ces cinq nouvelles. Le langage chiffré notamment, incompréhensible jusqu’à ce qu’il puisse être décodé. De même, les récits sont emplis d’individus qui s’expriment en des langues gutturales incompréhensibles. Ni humain, ni animaux ni dieux, ils ne peuvent être nommés que créatures, ne ressemblant à rien de connu et récitant des incantations blasphématoires incompréhensibles. Ces langages écrits et parlés que l’homme ne peut comprendre le ramènent à sa petitesse d’humain. L’homme, inventeur du langage, se trouvant face à ce qu’il ne peut déchiffrer ou entendre, prend une sorte de leçon d’humilité. L’humanité est réduite à son insignifiance face à tout ce qu’elle ignore et ne peut comprendre avec ses propres critères logiques. 

De plus, ses personnages principaux mènent toujours des sortes de quêtes avec une résolution si obstinée qu’ils se mettent en danger. Leurs recherches font fi des horreurs et périls, comme si un instinct profond et supérieur les poussait à persévérer jusqu’à l’horrible vérité. C’est à chaque fois comme une descente irrésistible. On a envie de leur hurler de ne point y aller, mais ils sont comme gouvernés par une volonté considérable,  effroyable et presque inhumaine. Ces hommes d’ailleurs ne sont plus humains une fois qu’ils côtoient l’horreur. Paradoxalement, ils sombrent presque dans la folie au moment même où leur lucidité froide est à son paroxysme. Étrangement, ces personnages dotés de grandes capacités de raison, dont ils usent jusqu’à l’exacerbation, perdent leur santé mentale tout à la fois, ce qui est très intéressant. Ainsi, la quête de pure vérité sans œillères et sans biais semble mener, selon Lovecraft, à un état second, à une sorte d’inhumanité effroyable qui a perdu tous les codes et qui ne peut faire machine arrière. J’aime infiniment cette idée que celui qui raisonne sans aucun apriori risque fort la folie. J’ai souvent songé que la raison pure frôlait l’aliénation, et me suis souvent interrogée à ce sujet. 

J’ignore si ces nouvelles ont été regroupées en un même recueil parce qu’elle se ressemblent. C’est très probable. Cependant, je ne reviendrai pas à Lovecraft avant longtemps. Si le premier récit surprend d’atrocité, plonge dans un univers bien à part, original, inattendu et subtil, les suivants lui ressemblent tant que l’on déplore bien vite le fait que Lovecraft use toujours des mêmes stratagèmes, procédés et atmosphères. Il ne se renouvelle pas, voilà. Ce recueil laisse la mauvaise impression d’avoir fait le tour de l’écrivain, de n’avoir plus rien à en apprendre puisque l’on a saisit, avec redondance, ses façons de récit. Je ne connais pas Lovecraft. Cependant ces sortes de répétitions me laissent supposer que l’homme était tout à fait en dehors de toute réalité, vivant seul en un monde parallèle qui l’obsédait. 

Si une seule des cinq nouvelles m’a fort déçue, les autres sont néanmoins d’une qualité remarquable. Lovecraft a crée tout un univers. Lugubre, inquiétant, mystique. Ses manières de mener l’intrigue sont fort habiles et son écriture est impeccable.

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Commentaires
D
Que lis-tu pendant que nos contemporains - tous des beaufs! - regardent le tour de France cycliste?
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A
Une remarque sur "la quête onirique de Kadath l'Inconnue" : dans le recueil que je suis actuellement en train de lire et dont je publierai bientôt une critique, "les contrées du rêve" aux éditions "j'ai lu", cette nouvelle est précédée de plusieurs textes qui relatent l'origine des chats d'Ulthar, ainsi que l'histoire de certaines villes, contrées et personnages cités dans "Kadath l'Inconnue". Il semblerait que ton recueil ait été mal pensé, puisqu'il présente cette longue nouvelle indépendamment des autres pièces imaginées par l'auteur. Les évocations que tu as jugées incompréhensibles et farfelues sont pour la plupart des références extrêmement précises à un univers construit avec cohérence et minutie. <br /> <br /> Cependant, cela reste une bonne critique, bien que je te conseille vivement de ne pas abandonner ici H.P. Lovecraft : tu n'en as pas du tout fait le tour, sois-en sûre !
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J
Bonjour Val, pas de Lovecraft pour moi donc, merci pour ton analyse - mais je n'étais pas très attiré par cet auteur.<br /> <br /> Houellebecq, qui en fit grand cas, a fait son analyse aussi (je l'ai pas lue).<br /> <br /> <br /> <br /> La science fiction me convient cependant, j'ai lu sans trop de lassitude 7 volumes du monument en la matière : Dune de Herbert - m'en reste un encore.
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H
C'est une synthèse efficace pour une découverte de Lovecraft, et qui vaut surtout pour la réunion des stratégies et effets narratologiques que tu mentionnes après tes résumés : la plongée (en soi-même) et la folie (liée à l'arrachement de la raison). Le style de k'auteur méritait peut-être des développements plus minutieux, de façon à tâcher de définir cette écriture particulière pour un lecteur qui l'ignorerait.
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