C'est pas grave, va! J't'en prie, fais pas cette tête là...
Il est dix sept heures et il est déjà rentré. Il est dix sept heures, mais il est désolé. Dans moins de deux heures il doit repartir. Juste pour un petit rendez-vous professionnel, vite fait.
Il est dix huit heures trente et il repart travailler. Oh, pas pour longtemps ! Logiquement il sera là pour le dîner.
Il est dix neuf heures et il est toujours là bas. Tant pis, ils dineront sans moi.
Il est vingt heures et il est enfin parti. Dans sa voiture, à quoi songe t’il ?
Il sait qu’il est tard et que sa fille sera déjà couchée. Il pense peut-être encore au travail, et il est épuisé. Il se dit que s’il se dépêche il pourra peut être dire bonsoir à son garçon. Il y a du brouillard. Il est fatigué. Il commence à se faire tard. Il fait nuit, et il est pressé de rentrer.
Il est vingt heures dix et il roule. Il connaît le chemin par cœur. Une longue ligne droite de dix kilomètres milles fois empruntée. Ils le disent bien, dans les stat’…
Il est vingt heure quinze, et il ne se souvient pas de ce qui s’est passé.
Il est vingt heures trente, et je commence un peu à m’impatienter. Bien sûr, je le connais par cœur. Il travaille, alors il n’a pas vu l’heure. Ou alors il a vu, mais n’a pas pu se libérer. Dommage pour lui, les petits sont couchés.
Il est vingt et une heure et on vient me chercher. Pas Manu, quelqu’un d’autre, et c’est très pressé. Il parait qu’il a eu un accident, mais qu’il n’est pas blessé.
Il est vingt et une heures dix et je le voit assis. Un peu de sang sur le visage, mais rien de méchant. Il est un peu absent, il est un peu choqué. Il a un gros trou noir, il n’arrive pas à se rappeler. Affligé, prostré, je ne le reconnais plus et je ne comprends pas. Mince, personne n’a rien, on va pas pleurer ! J’ai envie de le faire sourire. « Aller, deconne pas Manu, c’est à moi qu’tu fais d’la peine. Une bagnole de perdue, c’est dix vélos qui r’viennent ». La blague cent fois éprouvée ne fonctionne pas cette fois.
Il est vingt et une heures vingt, et enfin je la vois. Il fallait baisser les yeux , et vraiment très très bas. Elle est là, dans le fond, roues en l’air, sur son toit. Elle est couchée, retournée, dans ce petit ravin, cinq mètres plus bas.
Il s’est fait peur. Il a cru s’envoler. Il roulait vite. Il était fatigué.
Il est vingt et une heures trente et il est parti. On a attendu son départ pour imaginer ce qui a bien pu se passer. Il a tapé un panneau cent mètre avant. Il a braqué fort, il a eu peur, sûrement. Elle est sortie de la route à vive allure. Ils s’accordent tous à dire qu’il n’a pas du tout freiné. La voiture folle s’est retournée sur la berme en légère pente puis a dégringolé le gros pan de terre en tonneaux. Il est sorti tout seul, par une vitre, comme il a pu. Et il a appelé…
Il est vingt et une heures quarante et ils vont la sortir de là. Je reste pour récupérer des effets personnels s’ils ne sont pas cassés, et les papiers, si ils ne se sont pas envolés.
Il est vingt deux heure trente et ils ont mis une heure pour la remonter. Purée, elle est dans un sale état !
On est le lendemain, et il est courbaturé. Il pense qu’il roulait vite parce qu’il était pressé. Il se souvient s’être dit qu’il était épuisé. Et après… qu’il s’est retrouvé, tête en bas, dans une prison métallisée, qu’il est sorti par une vitre brisée et qu’il a appelé.
Aller, Manu, c’est pas grave, va ! T’as rien, t’es pas blessé ! Heureusement, parce que si t’étais mort, crois-moi qu’à ton retour, j’t’aurais égorgé !
Et pis même que si t'étais vraiment mort, rien que pour me venger, j'aurais refusé de t'épouser!
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