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Val ...
15 janvier 2020

La Fortune des Norsmith / Tome 2, l’Hymne des Géants (Henry War)

Voici donc ma note sur la deuxième partie de « La Fortune des Norsmith », et je n’ai toujours pas eu d’explications quant aux titres des deux tomes. N’importe, cela ne m’empêche pas de rendre une critique. 

Le vieux Walter a disparu. Il est supposé mort. Cependant, son corps n’a pas été retrouvé. Et l’enquête tourne plus autour de la recherche d’un cadavre que d’un coupable. 

Je ne parlerai pas longtemps du style de Henry War, l’ayant largement et élogieusement décrit dans ma critique du premier tome. 

Pourtant, je garde en mémoire quelques descriptions qui m’ont marquée de précision. Parmi elles, la souffrance profonde causée par le deuil. 

Moi qui suis très sensible aux odeurs, je me souviens également de l’exposé des odeurs mêlées du salon des Norsmith. De l’odeur du cuir du canapé à celle bronze des sculptures, ces esquisse olfactive m’ont épatée de netteté. 

Oserais-je dire enfin que ce second tome est encore mieux écrit que le premier? J’ose! C’est meilleur. Plus profond, sans aucun doute. Chaque personnage a une dimension psychologique intéressante et approfondie. L’écriture, le style, sont encore plus impressionnants. Henry s’est amélioré a mesure de l’écriture de ce roman. Une scène, à la fin, est tout à fait splendide et exaltante d’immoralité. Paul considérant soudain sa mère comme une femme, désirable et attirante. Et même plus: comme une femme qu’il pourrait soumettre brutalement, dans l’assouvissement d’un désir qui ne le culpabilise pas. Et même, l’idée de violer sa mère, si elle se refusait à lui, ne le répugne nullement. 

Je me suis même livrée à un exercice de comparaison, afin de m’assurer de mes observations. J’ai lu, en même temps que ce second tome, « L’œuvre » de Zola. Je n’ai pas choisi Zola au hasard mais parce que je l’admire d’exactitudes d’écriture, de tournures et de style. Il me paraît redoutable à l’épreuve. Eh bien, je le jure (et je me fiche qu’on pense que je veux plaire à Henry parce qu’il vient ici me lire. Quand je n’aime pas ce qu’il fait, je le lui dis), ce deuxième tome est meilleur que le Zola. J’anticipe même les remarques que pourrait me faire le premier idiot de passage qui songerait que je flatte avec zèle pour une raison autre que par réelle, sincère et objective admiration. Je lui dis d’avance: Lis, lis donc ce roman! Pour t’elever un peu! Et si tu n’y vois pas ce que j’y vois, alors je te méprise, aveugle individu ! 

Le personnage qui me pousse le plus à la réflexion est Victor, qui, dès le début m’apparaît lâche et à la fois vertueux. 

Je n’entends pas, dès le début de cette seconde partie, comment il peut demeurer si apathique dans ce qui devrait le soulever: la victoire de l’éclatante vérité, la saine vengeance. Mais Victor est trop faible pour cela, et empli de mièvreries, de naïvetés, et d’un sens du devoir non réfléchi. Victor se complaît dans les affres de la souffrance et des regrets. Mais il n’agit pas! Ou mal. Et cette naïveté est si agaçante! Pourtant, j’éprouve une tendresse pour Victor. Il est victime plus que coupable de sa naïveté. Ses valeurs sont nobles, il est droit, juste et cohérent, mais ne rencontre, autour de lui, que cruauté, calculs, manipulations et faussetés. À tel point qu’il en sera définitivement désabusé. 

Victor est intelligent. Sa mémoire prodigieuse et sa grande sensibilité lui permettent d’analyser très justement les situations. Ses conclusions sont souvent  perspicaces. 

De même, il a cette capacité de se mettre à la place des autres, de s’approprier les pensées d’autrui, et de voir juste. Son sens moral inébranlable, dont il ne peut se défaire, l’abaisse comme une tare lorsqu’il doit le confronter à l’autre. 

Paul est un personnage intriguant et intéressant. Sa logique froide et amorale le fait homme, finalement. Paul est un individu, par ce qu’il diffère des autres, du commun, du « moral ». Paul est empli d’un élan de vie hors norme, d’une puissance extraordinaire. Il est la vie. Audacieux, orgueilleux, empli de fierté. Il est la jouissance toute puissante. Paul se sait une grande destinée. N’importe s’il a tort, ou s’il se trompe, sa seule volonté est admirable. D’ailleurs, il se fiche d’échouer, ni ne craint les conséquences. Pas plus qu’il ne souhaite prolonger sa propre existence. Il veut s’accomplir, profiter, et jouir. Sans limites. 

Le notaire est un personnage fascinant. Ses façons distinguées, ses manières d’une élégance sobre, son bon goût désuet et délicieux font de lui un individu très raffiné. Par ailleurs, sa droiture est son intégrité sont remarquables. J’aime particulièrement cet homme pour cette rigueur du mot juste et le souci des tournures précises dans une conversation. C’est un talent qui m’a toujours fascinée et auquel je prête attention à chaque fois que l’occasion m’en est donnée. Utterville est aussi un homme doté d’une grande indépendance, vivant seul, ne recevant pas ou peu. Il est d’une telle hauteur qu’il semble supérieur à tous. 

Chaque personnage est ainsi profond, et psychologiquement intéressant parce qu’il ne représente pas une valeur préétablie. Leurs caractères et agissements à tous sont humains, dans le sens où aucun n’est ni parfait ni détestable. Ils sont tous individus car ne représentent nullement le bien ou le mal, ou la sagesse contre la démence. Loin des stéréotypes, HenryWar décrit une humanité véritable. 

Ainsi, ce notaire tout à fait admirable est aussi faible dans le sens où il semble ne vivre que dans le regret permanent d’un échec ancien. 

La servante, absente pourtant, vit dans une  abnégation belle et consentie, dans le don presque sans retour. L’inspecteur cesse soudain sa traque de l’éclatante vérité. 

Malgré tout, et paradoxalement, ce second tome reste le clivage entre les deux frères, entre deux idéaux qui s’opposent. Pourtant, l’ayant rapporté à ma propre personne (ne lit-on pas un roman en le rapportant à soi? N’est-ce pas cela, aussi, le fait de s’imprégner d’un livre), je puis admettre que je suis à la fois Victor et Paul. N’est-on pas tous à la fois un être aux agissements moraux mais aux pensées égoïstes et meurtrières ? Paul et Victor, en un seul individu. Comme deux forces intérieures qui s’affrontent. Mon être intime est Paul, quand il doit se couvrir d’habits conformes, de l’uniforme policé de Victor. 

D’ailleurs, il m’a semblé qu’à la fin du roman, les deux ne faisaient plus qu’un, d’une certaine manière. Pas de vainqueur. On est tout à fait éloigné des univers manichéens. Ici, le clivage moral ne change rien quant à l’issue. 

Contrairement au premier tome où celle-ci était fade, effacée, sans profondeur, le personnage de la mère se révèle. Et elle représente, à elle seule, la femme. Très éloignée d’ailleurs de l’image belle et mièvre utilisée habituellement dans les romans. 

Ici, son besoin de protection, encore et toujours, s’exprime dans la façon dont elle utilise l’homme, même s’il est son fils, pour son confort, plutôt que de réaliser elle-même ses desseins. L’idée de la femme qui vit en utilisant la force de l’homme pour son grand avantage est poussée à son paroxysme. Comme pour que le lecteur se figure le grand pouvoir - à travers l’homme qu’elle dirige à sa guise - qu’aurait une femme immorale si elle le désirait. Et sans se salir les mains, la femme utilise l’homme, le manipule comme un outil, comme un jouet, par force manipulations et minauderies, et enfin obtient de lui tout ce qu’elle veut. Sans s’épuiser nullement. 

Encore plus que celle de la femme, c’est l’image de la mère, habituellement vouée au saint sacrifice au profit de son enfant, qui  est merveilleusement bafouée pour montrer une perfidie et un désir de puissance réjouissants. Décidément, ce roman est loin, si loin du convenu! 

Ce deuxième tome de La Fortune des Norsmith est très philosophique. Beaucoup d’idées y sont développées. Si nombre d’entre elles concernent la morale, d’autres évoquent également l’amour, ou encore l’absurdité de la vie. 

Victor, longtemps aveuglé de morale qu’il croit juste et bonne, réalise avec effroi que la vie n’a pas de sens, que chacun mène une vie pitoyable et sans but, que rien n’est justifié par rien. Que tout n’est que hasard et que les individus laissent traîner leur existence sans ne rien faire de grand. 

Et c’est réjouissant. Voilà un roman où la morale bête ne l’emporte pas. Ou le « bon » n’est pas récompensé mais prend une leçon de vie redoutable et impitoyable. 

Victor, vers la fin, est transcendé de lucidité. Son souci de vérité saine dépasse enfin les conventions sages. Il est dans la douleur d’exister, comprenant tout comme une révélation meurtrière. Cette virilité, cette révélation, cette brutalité tardive sont pourtant plaisantes. Il se réveille! Et Victor s’en va sans regret pour cette vie dont il n’a plus rien à attendre. 

Je terminerai par un mot sur Walter, le père. Sans dévoiler l’intrigue, Walter, au soir de sa vie, était riche de tant d’expérience et de réflexion qu’il est, à mon avis, le personnage le plus abouti philosophiquement. Malheureusement, cette nouvelle lucidité semble lui être parvenue très (trop) tard. Il aura gâché sa vie, ne faisant que se sacrifier. Néanmoins, j’aime infiniment ses regrets. Walter, tout au long de sa vie, a préféré la tranquillité plutôt que la liberté. Cette faiblesse lui a fait accepter la soumission jusqu’à l’intolérable. Il a trop accordé. Il a trop donné. Et cela lui a coûté. 

Néanmoins, le dernier acte de Walter est brillant, et éclatant de vengeance froide. 

Et je conclus par ces quelques mots: ce deuxième tome est tout bonnement un chef-d’œuvre. Je ne parle pas uniquement d’un style, que j’admire pourtant. L’intrigue est excellente également. Les idées développées sont profondes. Ce livre est une merveille, et je m’incline. 

 

 

Extraits choisis: 

 

« Ce qu’il aurait voulu, ce qu’il avait toujours désiré au fond, c’était se faire aimer pour lui-même, d’une façon essentielle et abstraite dont il n’eut pas à rougir. Il avait tant espéré en l’existence d’une autre - et il pensait une, car bien que le sexe n’eut pas d’importance, une femme, sans doute, l’eut mieux complété qu’un ami, et avec moins la tentation des jalousies ordinaires et des rivalités réciproques - cette autre avec qui il aurait partagé un même attrait pour les idées de bravoure et les actes grandioses ; et ainsi, moins solitaires dans leur hauteur commune, ils eussent pu s’admirer et s’encourager dans leurs causes, épousant leurs valeurs et tâchant incessamment de se mériter l’un l’autre. Or, ce n’était rien d’autre que cela, l’Amour, sa pensée était sensible et profonde, et sa conception absolue, si pure qu’il se l’était longtemps figuré idéal et vaguement impossible à trouver ». 

 

« Il demeura là de longues minutes, sans tirer le moindre avantage de ses pensées qui ne faisaient que former une succession de faits inutiles et lointains. 

C’était cela la vie, il n’y comprenait rien. Tout était toujours contingent et vain. Il n’y avait pas de providence, pas d’absolu, pas de sens, rien. Le hasard se saisissait d’hommes qui se laissaient conduire, et puis, des réactions en automatismes, suivant la lourde pente de leurs inclinaisons, il n’arrivait nulle grandeur, nulle beauté, rien. Le monde était un caillou sans lumière, une terre morne, et basse, et piètre ; meme  Victor n’était plus certain d’exister. » 

 

À venir: 

 

« L’œuvre », Zola

« Laïcité et religion », Michel Onfray

« Nietzsche », Stefan Zweig

« Journal intégral », Julien Green 

« Éloge du doute », Patrick Davido

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Commentaires
H
Remerciements pour cette critique élogieuse et pleine de sagacité. Un plaisir d'écrire quand (ou si) on a la chance d'avoir des lecteurs aussi sensibles et perspicaces.
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P
Ok pour la mise au point.
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P
Le glissement, oui, je suis d'accord avec toi, dans l'enfance les deux frères étaient unis et complices, puis leur évolution les a éloignés l'un de l'autre… Paul semble vivre une métamorphose comme celle de la libellule ou autre insecte.<br /> <br /> <br /> <br /> Oui ton texte est long, mais aéré, facile à suivre. Qui te connaît par le truchement de ton blog ne peut que vouloir savoir quel est cet objet devant lequel tu t'inclines (ou alors la curiosité n'existe plus !) parce que tu ne t'inclines pas souvent et que, franchement, cet objet ?<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Pas accessible, je ne suis pas aussi tranché que toi, il y a de quoi satisfaire tout amateur simple d'intrigue. Oui, c'est aussi un style et l'intrigue permet à l'auteur de développer des idées philosophiques mais, l'intrigue n'est pas négligée, ses développements tiennent tout le long du roman et les surprises sont là où il faut qu'elles soient, jusqu'au bout.<br /> <br /> <br /> <br /> La page 244, je ne la copie pas, je donne rendez-vous au lecteur page 244.<br /> <br /> <br /> <br /> Quant à Flaubert, je viens de lire quelques comptes rendus publiés lors de la sortie de l'Éducation sentimentale, le moins qu'on puisse dire c'est que les avis étaient forts divergents en 1869.
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P
« … je puis admettre que je suis Victor et Paul » écris-tu ; j'ai ressenti, à la lecture de ce livre, que l'auteur avait mis de lui en chacun des deux protagonistes, chacun modelé d'une part, d'un moment, de l'histoire de l'écrivain.<br /> <br /> <br /> <br /> Et mille fois d'accord avec toi, trois clics sur un écran, le livre est livré chez soi, on le lit et on se fait son avis tout seul, le blog de l'auteur est en lien ici, on peut échanger avec lui, c'est rare et précieux. Il me semble que ta critique (en deux temps) ne peut que donner envie d'ouvrir ce livre, toi, ici, tu ouvres un espace rare de franchise et réflexion. Tu viens dire ton admiration dont on sait qu'elle n'est jamais de complaisance, bon Dieu ! il y a quoi dans ce livre ? Si je n'avais déjà eu envie de comprendre ton enthousiasme pour « La Fortune des Norsmith », franchement, je n'hésiterai pas.
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