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Val ...
13 novembre 2020

Le Complot contre l'Amérique, Philip Roth

Trois ans de travail. Voilà comment l’auteur a lui-même présenté son roman. Trois ans de travail pour un récit remarquable, d’une écriture impeccable, relatant des faits imaginés mais précis, argumentés, poussant le réalisme jusqu’à la retranscription de discours et d’articles de presse inventés de toute pièce. De vraies sources - Roth en dresse la liste en fin d’ouvrage -  ont également, en amont en un volume impressionnant, été méthodiquement répertoriées, étudiées, analysées. Et certaines se confondent dans le roman avec les sources fictives. Ainsi, le réel et le fictif s’entremêlent à un point que l’on ne peut distinguer l’un de l’autre sans avoir une parfaite connaissance de l’histoire américaine. L’impression de réalisme est redoutable. 

Un chef-d’œuvre indiscutablement. Un travail titanesque. Mais bâtit-on une grande œuvre autrement que par un travail méticuleux ? 

Le Complot contre l'Amérique est une uchronie - mot que j’ignorais avant de lire ce roman - à caractère autobiographique. Il mêle les propres souvenirs d’enfance de l’auteur à une réécriture du passé. Que serait-il advenu de l’enfant juif qu’il était, de sa famille, de son entourage mais aussi de l’Amérique tout entière, si Lindbergh s’était présenté à l’élection présidentielle américaine et avait battu Roosevelt en 1940 ? 

La catastrophe est là, angoissante tant elle paraît plausible. Un sympathisant nazi à la Maison Blanche, et l’ordre du monde en eut été tout bouleversé. Nous voilà plongés dans une Amérique qui nous est inconnue, anti sémite et isolationniste, presque jusqu’à l’invraisemblance. Cependant, le lecteur est bien forcé d’y croire. Les discours rapportés de  Lindbergh sont authentiques, ainsi que sa popularité montant dans les années trente grâce à ses succès dans l’aviation. Ses liens étroits avec l’Allemagne nazie le sont également. Son mouvement politique, « America First », a bel et bien existé et il en fut le leader, aimé et adulé. Il lui aura seulement manqué de gagner sa place à la convention républicaine pour être éligible. 

Cependant, Philip Roth n’a pas eu le goût de forcer le trait. L’Amérique serait restée l’Amérique. Nulle Shoah, nulle déportation dans le pays des droits de l’homme et des libertés, mais un antisémitisme décomplexé, légalisé. Une ségrégation raciale à l’américaine, calquée sur le sort des indiens. L’état aurait nommé des agents juifs coopérants, américanisés. Les enfants juifs auraient été envoyés en vacances dans des fermes du Sud chez de bon catholiques qui leur auraient appris les bonnes valeurs de l’Amérique catholique. Et la bible. Des familles entières auraient été envoyées à l’autre bout du pays, dans des lieux reculés où ils n’y auraient trouvé nul autre juif pour perpétuer leurs coutumes. C’est l’Amérique : on ne parle pas de ségrégation, de race inférieure, de droits restreints. Non, on est bienveillants et patriotes. On intègre les juifs pour leur bien, en bon paternalistes, en une assimilation comme ce fut le cas pour les indiens. L’Amérique en prend pour son grade. Le pays des droits et libertés fondamentaux est face à ses fautes anciennes, et il aurait suffit d’un homme, un seul, pour que l’histoire se reproduise. 

En parallèle, et ce travail d’imagination et de psychologie est tout aussi fin et élaboré, Roth imagine la réaction de ses proches dans cette situation. Il réinvente un père qui n’aurait été ni un héros ni un lâche, mais seulement un homme cassé par une machine infernale et incontrôlable, rongé par une indignation muette et digne. Il imagine son frère aîné en agent juif, participant activement à la propagande du programme d’assimilation des juifs en Amérique, la stupeur de sa mère, l’éclatement de sa propre famille. Les juifs ne sont pas épargnés non plus. Le roman a son lot de personnages juifs corrompus, prêts à tout pour l’argent. Et c’est non sans ironie que Roth décrit ces personnages à qui il aurait fallu peu pour les faire basculer. 

C’est un roman d’envergure, hautement audacieux, difficile. C’est que pour réécrire l’histoire, il faut garder le ton juste. Tout comme pour prédire, il faut disposer d’une belle capacité à se figurer la psychologie humaine, et de manière affûtée. Le complot contre l’Amérique est un roman aussi déroutant que percutant. D’une pertinence telle que rien n’y parait pas plausible. 

Un chef-d’œuvre.

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Commentaires
F
Je relirai ton résumé quand on pourra refaire une soirée entre amis. Je sens que je pourrais avoir mon petit succès en parlant de ce bouquin. Même que si je devais lire un livre ça pourrait être celui-là.
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P
Qu'en-est-il du style de Phillip Roth ? Du style de la traduction si vous l'avez lu en version française<br /> <br /> <br /> <br /> Il manque un ou plusieurs extraits pour se faire une petite idée par soi-même.<br /> <br /> <br /> <br /> Mais votre critique pourrait plaire à ceux qui aiment les survols rapides.
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H
Voici une notice affutée et percutante. Un court travail de professionnel critique, en termes de style.
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